La teuf, la teuf, la teuf, juste la TEUF ! C’est le mot d’ordre du collectif Rudelbums. Depuis un an, ce crew de suisses un peu frappés, s’agite avec talent pour faire bouger la scène techno à Genève. Pas une mince affaire ! Car l’offre techno en Suisse s’est clairement standardisée. Quelle meilleure idée que d’inviter leur alter-ego berlinois Disconnekt pour les aider à retourner Genève une bonne fois pour toutes ?
La techno, une passion, une raison de vivre, quelque chose qui semble habiter Marco, Romain, Christian et Domingo. Marco (aka Pastram et moitié du duo L’Établi), Romain (moitié de OW), Christian (aka Christian Marras), et Domingo (aka Hannah Adams) partagent un amour inconditionnel pour la musique techno, une même vision de la fête, de la musique et de la scène. Il n’en fallait pas plus à ces quasi militants de la fête pour trouver l’idée d’une collaboration exceptionnelle. C’est ce soir au Zoo/L’Usine, dans une ambiance de feu, que l’union aura lieu. Pour les têtes d’affiches on comptera la présence, sans prétention, de 999999999, BAS MOOY et SNTS. Rien que ça. Tranquille. À quelques heures de la grande teuf DISCONNEKT hosted by Rudelbums (il est encore temps de prendre tes billets… de train, toi le parisien), interview croisée entre le papa berlinois Disconnekt et le cousin génie et relève suisse Rudelbums.
Rudelbums, pourquoi avoir choisi d’inviter le crew Disconnekt pour cette soirée ?
Marco (Rudelbums) : Ça va paraître un peu cliché mais on a eu un véritable coup de foudre pour eux ! Historiquement c’est moi le premier qui ait pris contact avec eux. Je cherchais de nouveaux morceaux et j’ai découvert Christian à travers l’un de ses podcasts, sur Soundcloud, découverte qui m’a conduit à ses productions mais aussi à ses soirées. Je suis tombé amoureux de son approche musicale, de la sensibilité avec laquelle il concevait ses soirées. Du coup j’ai pris la décision de le contacter sur Facebook, il m’a de suite fait bonne impression. J’en ai parlé à Romain, puis aux autres de Rudelbums et on a décidé de l’inviter à jouer à la soirée qu’on organisait à Genève, au Motel Campo ; ce soir là on avait aussi invité Kobosil et d’autres artistes locaux. Christian a littéralement tout retourné !
Puis quelques semaines plus tard je suis allé à Berlin avec ma copine, les mecs de Disconnekt nous avaient invités à l’une de leurs soirées. J’étais persuadé qu’on allait rencontrer des gens qui partageaient la même vision de la musique que nous ! Ça n’a pas loupé. Ils nous ont très bien accueillis, on s’est vite sentis comme chez nous. Christian m’a parlé de leurs ambition de collaborations avec d’autres projets et c’est là que j’ai compris qu’il y avait clairement un truc à faire ! Une fois rentré en Suisse, j’en ai parlé au collectif et l’idée de cette collaboration est venue naturellement.
Romain (Rudelbums) : Comme l’a bien expliqué Marco plus haut, on est tombés amoureux tout autant de ses sets que de son humilité et de sa joie de vivre quand on l’a rencontré la nuit où on l’a invité à jouer. On l’a ensuite invité à jouer, une autre fois, à l’une de nos raves parties, on est tous devenus très vite fans. On aimerait le voir jouer bien plus souvent d’ailleurs !
C’est quoi qu’on admire chez Disconnekt ?
Marco : Je dirais, la relation qu’ils entretiennent avec la musique ! Pour moi, si, évidemment, la fête permet de faire de belles rencontres et d’apprendre à connaître les gens, elle peut tout aussi faire la lumière sur certains aspects superficiels de la personnalité des gens. Le fait qu’on ait passé du temps ensemble à Berlin et en Suisse m’a permis de partager de vrais moment avec ce crew, de créer une relation plus profonde, d’en apprendre plus sur leur histoire, leurs expériences, afin de mieux comprendre l’essence de leur projet. Tu vois, même s’ils sont tous basés en Allemagne maintenant, beaucoup d’entre eux ont quitté leur pays pour tenter leur chance dans la musique ! Je ne vois pas plus forte preuve d’ambition dans la vie !
Romain : J’adore le fait qu’on ait tant de choses en commun. Diskonnect c’est en quelque sorte notre alter-ego berlinois. Mêmes goûts, même vision et, le plus important, même façon de faire la fête. Je me souviendrai toute ma vie de la première fois qu’on a fait la fête ensemble, ils nous avaient invités à la célèbre soirée Pornceptual. Bon Dieu, c’était incroyable !
Une soirée Diskonnect qui vous a marqué en particulier ?
Romain : En fait de mon côté je n’ai pas encore eu l’opportunité d’aller à une de leurs soirées. Mais Marco si ! Et il m’a dit que celle à IPSE avait été juste parfaite. Tous les ingrédients étaient réunis pour une nuit de fou : performance, énergie de la foule, line-up, putain de bordel !
Marco : Oui en effet. Celle où j’avais été à IPSE avec ma copine était incroyable. Plus qu’un line-up de fou – avec des mastodontes de type Samuel Kerridge et Developer, qui ont pu montrer toute leur puissance- la Disconnekt a réussi à créer un rendez-vous pour les amoureux de musique, et c’est maintenant une véritable communauté de raveurs plus que de clubbeurs. Une putain d’ambiance ! Dans la salle principale, il réglait une ambiance tellement heureuse parmi les gens, qui étaient tous total concentrés sur la musique, en phase avec les shows des performeurs. J’ai passé toute la nuit à transpirer sur la piste de danse !
Et vous, Disconnekt, c’est quoi qui vous a plu chez Rudelbums ?
Cristian Marras (Disconnekt) : Notre rencontre a été comme un coup de foudre ! La première chose qui m’a frappé c’est cette similarité entre ce nouveau et jeune collectif et moi et ma team. Tout comme nous, ces mecs entretiennent la scène techno de leur ville, tout comme nous ils sont partis de rien, avec aucun budget, sans sponsors, ils ont travaillé dur pour construire leur identité, jour après jour, événement après événement, ils ont été sur tous les fronts, habités d’un amour et d’une passion profonde pour la musique électronique.
Pour moi c’est vraiment exceptionnel de rentrer en contact avec d’autres crews qui opèrent sur la même scène mais dans d’autres pays. Même si on ne se connaissait pas avant, une fois qu’on a eu la chance de rentrer en contact, j’ai tout de suite senti la connexion, le lien qui nous unissait, d’une certaine manière… Quand je suis allé à Genève pour la première fois, j’ai eu la chance de passer toute une journée avec la team et d’échanger sur pleins de sujets, pas seulement la musique, mais aussi des expériences de vie, et tout un tas de choses. Depuis lors, on est restés en contact, on s’est revus de nombreuses fois, entre Berlin et Genève, notre amitié est née comme ça.
Domingo (Disconnekt) : J’ai aimé le crew Rudelbums au premier regard, quand j’ai rencontré Marco dans les backstage de la Suicide Circus Berlin ! Son amour pour la vraie musique techno, son excitation face à la scène, ses ambitions, tout ça m’a beaucoup impressionné, ça m’a touché même je dirais. J’ai réalisé alors qu’il y avait des gens comme nous, en dehors de Disconnekt Berlin.
Comment on se met à organiser des soirées techno, d’ailleurs ?
Romain : J’imagine que je n’ai pas besoin de préciser que ma passion pour la scène techno est LA RAISON qui fait que j’organise aujourd’hui des soirées. Mais je crois aussi que c’est dû à mon tempérament de fêtard ainsi qu’à mon besoin de créer.
Christian Marras : De mon côté, je m’occupe d’événements depuis… l’adolescence ! J’ai travaillé dans les relations publiques de pas mal de clubs quand je vivais en Italie, bien avant de me mettre à créer ou jouer de la musique. Dans mon cas, c’est quelque chose qui m’est venu naturellement, j’aime réunir les gens et j’aime aussi passer du temps avec eux, autour d’une musique pointue. Fut un temps où je n’étais pas du tout intéressé par la techno, puis j’ai été sensibilisé à la musique de Detroit, la house de Chicago. En Sardaigne, là d’où je viens donc, la musique électronique n’est pas très prisée. Même aujourd’hui, comme dans tout le reste du pays d’ailleurs. J’ai mis du temps à me mettre à la techno. Je l’ai découverte vers l’âge de 20 ans, quand j’ai commencé à voyager un peu plus, à assister à des soirées techno, des festivals dans toute l’Europe. Puis presque dix ans plus tard, poussé par quelque chose qui était devenu fondamental et partie intégrante de ma vie, puis par l’envie d’apprendre encore plus, j’ai décidé de m’installer à Berlin. J’ai intégré une école de musique pour apprendre la production musicale et le sound design. S’est alors ouvert un nouveau chapitre de ma vie. Et j’ai voulu combiner ça avec ce que je faisais avant. C’est comme ça que j’ai commencé à organiser des fêtes techno à Berlin.
Domingo : Au début, c’était juste un rêve que j’avais. Je me souviens en train de rêver à nos propres soirées techno à Berlin. J’en ai parlé à mes amis Christian et Fabrizio, un jour, c’était un dimanche, au Berghain. Puis soudain, c’était en février 2016, on a eu l’opportunité d’organiser une soirée à l’AVA club, et c’est là qu’on a fait nos trois premières dates.
Marco : Tout a commencé derrière les platines de Rudelbums, quand j’ai débuté en tant que dj. Ce sont eux les premiers qui ont cru en ma musique. Romain, Tyson et Nast -troisième fondateur du collectif mais qui est parti depuis- nous ont donné notre chance avec BKR (autre moitié de notre duo L’Établi), c’est grâce à eux qu’on a fait notre première date ! Du coup, même si de mon côté je suis plus impliqué dans l’aspect musical qu’opérationnel, je dirais que leur confiance de base a été la première impulsion à mon envie de m’investir plus dans le collectif !
Que vous apporte la techno que la house, par exemple, ne vous apporte pas ?
Romain : Pour moi c’est une question d’intensité. Même si je trouve aussi que la musique house peut parfois être très intense, j’aime les basses fréquences qu’on trouve dans la techno.
Cristian Marras : Je me suis souvent posé la question ! Tu sais, j’écoute tout un tas de musiques différentes. Dernièrement j’ai commencé à prendre des cours de piano, afin d’améliorer ma composition, du coup j’écoute pas mal de musique classique, mais il est vrai que rien n’est comparable au sentiment que la techno m’apporte. J’adore les rythmes répétitifs, mais ce que je préfère par dessus tout c’est le son et le plaisir que procurent des basses puissantes dans mes oreilles et dans tout mon corps.
Puis j’aime aussi le fait que la techno soit un genre aussi vaste qui réunisse autant de styles à l’intérieur, le fait que ce soit un monde très varié fait que je ne m’en lasse pas. Il y a toujours de nouvelles choses qui sortent, de nouvelles choses à découvrir. Puis si on en vient à l’acte de création musicale, l’expérimentation musicale, au niveau techno, est très excitante. Dans la techno il y a l’idée de liberté et de musique sans frontières.
Domingo : Les sonorités futuristes, le fait que ce soient des sons qui n’avaient jamais existé dans l’univers avant que quelqu’un les créée dans un studio. Un sentiment. La techno fait RESSENTIR. Danser sans complexe, se sentir LIBRE.
Marco : Je crois que pour moi c’est… un mélange de tout ce qui vient d’être dit ! (sourire). La techno est la seule et unique musique qui me donne l’énergie ! Les échos industriels, le groove robotique, tout ça mixé avec des percussions brutes : ça m’aide à m’évader.
Comment elle se porte la techno en Suisse ?
Romain : Sur Genève, la scène techno existe mais elle n’est pas évidente, les gens sont moins intéressés par les nouveaux talents que par les grosse grosses têtes d’affiche. Mais je crois que c’est surtout culturel. Par rapport à des pays comme l’Allemagne par exemple, la culture techno est moins développée en Suisse. Du coup, l’offre techno s’est standardisée, je dirais, ce qui est dangereux parce que cette standardisation se présente comme un obstacle à son développement et elle en freine le renouveau.
Marco : La scène est remplie de gens motivés, d’artistes indépendants, d’orgas très actifs, de promoteurs de clubs qui veulent affirmer leur propre vision de la musique. De Genève à Basle en passant par Fribourg ou encore Lucerne, il existe des soirées techno de qualité ! Les suisses sont de plus en plus intéressés par cette musique, il faut quand même l’admettre. Maintenant, le fait d’organiser des soirées nous rend aujourd’hui plus critiques. L’herbe est toujours plus verte ailleurs, on dira que l
.Vous pensez qu’un jour la techno deviendra commerciale à Berlin ?
Cristian Marras : Tu entends quoi par commerciale ? Car je ne pense pas que la techno atteindra des niveaux de mainstreamisation tels que l’EDM… Mais il est vrai que, comparé à ce que c’était à il y a quelques années, la techno est un peu plus mainstream à Berlin aujourd’hui. Après, on pourrait parler de l’évolution de la techno pendant des heures, essayer d’établir des pronostics sur son évolution à venir mais honnêtement… de mon expérience et point de vue, l’avenir de la techno me semble assez sombre. Du coup, je préfère ne pas penser à demain et vivre le moment présent, essayer d’en tirer le meilleur. Je sais bien qu’aujourd’hui, tout tourne autour de l’argent, de la popularité, des connexions, des échanges de faveurs, et de tout ça. On en a oublié l’amour pur et la passion pour la musique. Et on constate ça même chez tout un tas de gens qui ont fait l’histoire de cette scène. L’évolution technologique a joué un grand rôle dans la scène techno ces dernières années, elle a permis à tout un tas de gens pas forcément doués de se présenter comme des artistes, des performeurs, et c’est ça qui selon moi a franchement fait baisser le niveau de la musique contemporaine.
La révolution des réseaux sociaux a modifié les règles et les codes de l’évolution d’une carrière musicale, auparavant basée sur la connaissance de la musique ; aujourd’hui, une carrière peut se jouer sur des choses très différentes.
Domingo : Bonne question ! Vraiment ! À mon avis, et même si je le déplore, c’est déjà en train d’arriver. Après, je pense qu’il existera toujours une certaine forme de résistance à Berlin. Il existe encore énormément de collectifs qui travaillent à faire en sorte que cela n’arrive pas, à garder l’essence de la scène techno berlinoise… !
Comment vous avez choisi les artistes du line-up de votre collaboration du coup ?
Romain : Pour l’endroit choisi (Le Zoo/Usine, ndlr), c’était facile. L’Usine est un endroit très prisé du milieu alternatif à Genève et on les connait bien. Le challenge, c’était de monter un line-up qui corresponde à nos deux univers respectifs et qui puisse attirer un bon nombre de ravers. Le risque, aussi, c’est que c’est la première fois qu’une telle soirée techno voit le jour à Genève, une chose de cette ampleur, dans un club…
Cristian Marras : Monter un line-up c’est toujours quelque chose de difficile, mais au fond, une bonne programmation, c’est juste un bon compromis entre :
- les artistes que t’aimes
- les artistes que les autres membres du crew aiment
- ton budget
- les disponibilités des artistes
Dans ce cas précis, je peux affirmer qu’un lineup ne m’a jamais rendu aussi heureux. Les têtes d’affiches qu’on a pu booker sont des icônes de la scène techno contemporaine, extrêmement talentueux. Ils ont tous sorti des prods incroyables et ils ont vraiment su faire leurs preuves auprès de la communauté ces dernières années. Rien que pour ça, je peux dire que je suis très honoré de partager les platines avec eux, je les admire énormément. Puis la team Rudelbums et l’équipe du Zoo aussi, ont fait un travail incroyable dans la préparation de l’événement.
Marco : Oui, notre projet c’était de travailler ensemble pour arriver à quelque chose de musicalement ambitieux et de nouveau sur la scène.
Domingo : Un beau travail d’équipe ! On a pris toutes les décisions ensemble. Merci au club et à Rudelbums d’avoir fait en sorte que cet événement voie le jour !
Trois mots pour décrire la teuf de ce soir ?
Marco : Je dirais « teuf », puis « teuf » et encore « TEUF » !
Romain : On peut s’attendre à quelque chose de « post-apocalyptique », de « végétal et d' »intense » !
Christian Marras : Pour moi l’ambiance sera « bon enfant », « excitante » et « ouverte d’esprit ».
Domingo : Tout pour rester soi même !