Otto, tu le vois, tu le vois plus. Tu l’aperçois au détour d’un club, et tu le perds. T’entends presque le bruit du déclencheur et tu sens, plus que tout, le regard derrière l’appareil. Pas dérangeant, ce regard, comme parfois ça arrive la nuit. Plutôt bienveillant, et la certitude que le résultat sera authentique, et identique à ce que l’on ne sait pas encore de soi. Photographier pour révéler, et lire les âmes. Otto Zinsou sonne juste, dans le reflet des néons et les lumières crues qui caressent les peaux. Il ne reste plus rien que le désir, les corps, et la nuit qui s’enfonce, tendrement, dans les bouches grandes ouvertes et l’humidité entrouverte.
Otto Zinsou, il se croise, dans toutes les soirées queer parisiennes, des Wet for Me en passant par la Jeudi O.K. et la Station-Gare des Mines. Otto Zinsou est partout où on l’attend et souvent là quand on l’y attend plus. Otto Zinsou est devenu témoin, et pas malgré lui, d’une génération libre, libérée, libertaire, qui croque et lèche, avale et renifle, baise et s’apaise, des odeurs, des présages du futur, des inhibitions qui enferment.
Avant de s’embarquer ce soir jeudi 26 juillet pour une nouvelle salve de clichés pas clichés, à l’occasion de la Barbi(e)turix all stars x Jeudi Ok au Wanderlust, le regard franc et les paupières qui tremblent un peu parfois, la main assurée et le cheveu qui frétille, Otto a répondu à nos questions, le coeur ouvert et l’objectif bien réglé. Clic.
Otto, qui es-tu ?
Je m’appelle Otto et je viens de dépasser la barre des 24 ans. Je suis étudiant en Master de Genre, Politique et Sexualité à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) le jour, et photographe la nuit.
Amoureux de l’amour.
Eternel angoissé.
Un signe particulier qui ne soit pas mon thème astral ? Peut-être mon grain de beauté au dessus de ma lèvre supérieure, à gauche, ou ma boucle d’oreille en or à droite “askip”.
Tu te souviens de la première fois que tu as tenu un appareil photo dans tes mains ?
Aloors je devais avoir 4 ans, 5 ans tout au plus. Ma tante m’avait offert un appareil photo à pellicule mais qui n’a rien à voir avec un argentique classique. Une sorte d’appareil jetable, flash intégré, mais recouvert d’une protection noire avec de grosses poignées en plastique rouges. Plus facilement maniable, donc, et incassable.
Le feu.
Tu te souviens de la sensation que tu as eu, la première fois que tu as “appuyé sur la gâchette” ?
Cette grosse gâchette pour enfant en plastique jaune donc ? Pas du tout malheureusement. Ca remonte à beaucoup trop loin. Déjà que j’ai du mal à me remémorer ce que j’ai fait y’a deux semaines.. Mais ça devait certainement être une photo ratée, une photo « dans le vide » style mon nez en contre-plongée ou le pied de ma sœur.
Tes premières photos, tu en gardes quel souvenir ? Satisfaction, frustration, agacement, plaisir… ?
Au même titre que ma réponse précédente, je n’en ai pas souvenir. Je ne sais même pas si la pellicule a été développée. Quoi qu’il en soit, ça ne devait pas être du grand art ..
Par contre, dans mes souvenirs plus récents -mais lointains quand même- je me souviens que ma mère m’avait acheté un appareil photo jetable pour mon départ en classe verte à l’Ile D’Oléron en CE1. C’était ma sensation de vraies “premières photos”. A l’époque, je trainais exclusivement avec des garçons et d’ailleurs ne percevais que très peu la différence qui pouvait exister entre eux et moi qui pourtant était perçue comme une petite fille. Eux non plus d’ailleurs, et c’est bien ce qui fait que je jouissais d’une sorte de complicité et d’intimité qu’aucune “fille” de mon âge ne pouvait connaitre. Et donc, je me souviens de ce temps de ‘repos’ durant lequel j’ai rejoint ma bande de quatre meilleurs potes -mecs- dans leur chambré avec mon appareil. Je ne saurais dire comment nous en sommes arrivés là, toujours est-il qu’ils ont commencé à chacun faire un strip tease et je me suis retrouvé au milieu de la bande à les photographier, et notamment photographier leur ‘zizi’. Raconté ainsi on pourrait trouver ça très sexuel, mais en fait, ça ne l’était en rien tant il n’y avait aucune ambiguïté possible. J’étais déjà le petit Otto, leur ami.
La première personne que tu as aimé photographier, c’était qui ?
Sans hésiter je dirais Elise. Une de mes premières copines. Une des premières qui aient vraiment comptées pour moi.
Je me souviendrais toujours du jour ou je l’ai rencontré, au Café de la Paix à Sceaux soit la ville dans laquelle se situait mon ancien lycée que j’avais quitté depuis deux ans déjà et qu’elle fréquentait encore. Ca a été un coup de foudre. J’ai littéralement été assommé, foudroyé, par sa beauté. Grande, les cheveux châtains, courts -qui lui octroyait une grâce et une maturité beaucoup plus importante que le reste des gens de son âge- des tâches de rousseur, un rouge ardent sans faille sur les lèvres. Ç’en est assez pour faire cesser mon coeur de battre. Sinon le faire s’emballer bien plus que de normal.
« À la vue de mon objectif, ils se mettent à danser plus frénétiquement que jamais, rire aux éclats ou embrasser à pleine langue la personne en face »
Après de longues recherches #stalk je l’ai retrouvée sur facebook et mon premier prétexte pour aller lui parler fut, et sans surprise, de lui proposer de la prendre en photo. Et ce fut le début d’une très longue série de portrait.
Des photographes qui ont pu t’inspirer dans la vie comme derrière l’objectif ?
Les photos de Lucile Avezard, à l’époque. Et encore maintenant puis à tout jamais, le travail de Fanny Latour-Lambert. Pour ses portraits de gueules d’une autre époque, et ses retouches qui sont comme du velours posé sur chacune d’entre elles.
Quand tu prends une photo, tu recherches quoi ?
Retranscrire ce que je trouve beau chez la personne en face.
Certains photographes disent rechercher la vérité, dans leur photos. Tu en penses quoi ?
La vérité est toujours plus subtile. Ça c’est ce que je pense.
Claude Cahun écrivait “Sous ce masque, un autre masque. Je n’en finirai pas de soulever tous ces visages “. Ça te parle ?
Ça me parle. Elle illustre bien les soirées parisiennes – Sous ce.s masque.s, d’autre.s masque.s- où les gens sont beaucoup dans le paraitre. Et l’apparaitre, littéralement. C’est impressionnant le nombre de personnes que je croise et qui me livrent qu’ils ont secrètement l’espoir, en choisissant leur tenu et se maquillant avant de se rendre sur les lieux, d’être pris en photo ce soir. Tout comme le nombre de personnes qui, à la vue de mon objectif, se mettent à danser plus frénétiquement que jamais, rire aux éclats ou embrasser à pleine langue la personne en face d’elle. Sachant qu’une photo n’est jamais « qu’une photo ». C’est un souvenir qui apparaitra sur facebook. Comme une preuve que « X » était là à cette soirée. Que « X » sort. Qu’il s’amuse. Qu’il aime. Qu’il est défoncé. Qu’il a oublié son ex. Qu’il est bien habillé.
Qu’est ce que la nuit t’apporte que tu ne trouves pas dans le jour ?
Tout est plus doux la nuit. Mais surtout la lumière. Les reflets des néons sur le visage des gens. Chaque mouvement devient immédiatement plus sensuel et les visages plus lisses. Pour peu que les lumières soient rouges, on se croit dans les scènes de baise des Amours Imaginaires de Dolan, et s’ils sont bleus, dans les scènes d’ouvertures d’Un couteau dans le Cœur. Comme un appel non sonore à la sensualité, comme un éveil au désir.
Les gens que tu photographies en soirée, ils ont quoi en commun ?
« Ils donnent tout pour la musique », France Gall et Michel Berger l’ont écrit et chanté avant moi.
La fête, pour toi, c’est quoi ?
L’oubli. Les paillettes, les basses, le désir, les verres, les néons, les regards, les allers – les retours, les pipettes, les seins, l’espoir de croiser quelqu’un.e, les toilettes, le désespoir d’en croiser un.e autre, la sueur, les rires, la musique, le sexe, instagram, les secrets, les départs.
T’as l’impression d’avoir fait évoluer ton style au fil du temps ? Et vers quoi ?
Oh oui, j’ai beaucoup évolué. Et pour cause, je ne suis pas le seul à le constater car régulièrement on me fait la réflexion.
Ne serait-ce qu’au niveau de mes retouches qui se sont affinées et deviennent beaucoup plus subtiles qu’à l’heure de mes premières photos. Pour parler métaphoriquement, je suis plus dans l’effet nude, auquel il m’arrive parfois de rajouter quelques paillettes, tandis qu’avant je tartinais mes clichés de fond de teint. Après en termes de sujets, de modèles, je dirais que j’ai pris récemment conscience –au même titre que mes réflexions militantes et déconstructions s’opèrent – que mon œil a une tendance à se tourner vers les standards de beauté occidentaux contemporains à savoir vers des personnes blanches, minces, aux traits fins. Qui sont en majorité des hommes. Bien évidemment c’est aussi proportionnel à la population qui fréquente les soirées queer mixtes. Mais prendre conscience que c’est ce que reflète tout mon travail, et avoir une réflexivité là-dessus, c’est autre chose. D’autant plus que je sais les inégalités d’accessibilité aux soirées dans lesquelles je travaille, la sélection et les oppressions qui se jouent et se rejouent en leur sein, qui sont les mêmes, à une moindre échelle, que celles qui se jouent dans la société. Maintenant, de plus en plus et de façon consciente, j’essaie de mettre en avant des visages et des corps trop souvent marginalisés et très peu représentés.
J’espère bien évoluer encore et encore au fil des années, autant arrêter maintenant sinon.
L’avantage qu’il y a à prendre des photos en soirée ?
S’échapper.
« Mon appareil est mon meilleur allié pour combler une solitude que pourtant je provoque. »
Je suis très mal à l’aise dans les interactions sociales. Très gêné, très vite. Sans parler du fait qu’il y a aussi un paquet de personnes auxquelles je n’ai pas forcément envie de parler. Dans ces cas là, la phrase que je maitrise le mieux « Excusez-moi, je dois .. », en hissant mon appareil. Tout le monde comprends.
« Ces quelques portraits que je compte sur le doigts d’une main pour lesquels j’ai l’impression en les regardant d’entre-apercevoir l’âme de mes sujets »
Et puis y avoir accès sans payer. Parce-qu’en réalité, en terme de budget, je ne pourrais pas me permettre d’aller au quart des soirées dans lesquelles je travaille. Evidemment, dès que je le peux, j’en fais profiter mes potes qui, comme moi, galèrent à payer leur loyer.
Et j’oubliais .. ! Plus besoin de faire la queue pour aller pisser.
L’inconvénient ?
Le fait de devoir « encore » prendre des photos lorsqu’après trois pintasses je n’ai plus qu’une envie : retrouver mes potes, danser, et boire une quatrième pinte.
C’est quoi qui te fait prendre une photo particulière, sur le moment, qu’est ce qui t’incite à appuyer sur le déclencheur ?
Cela varie. Je ne laisse jamais filer un couple en train de s’embrasser. Un profil androgyne aura aussi très peu de chance de s’en tirer sans portrait. Après, je ne travaille, pour ainsi dire, qu’à l’instantané. Il est très rare que je prenne des portraits de gens qui posent à moins qu’on me le demande – ce que je ne supporte pas btw.
Ta plus grande réussite jusqu’à aujourd’hui, en matière de photographie, selon toi ?
Certainement ces quelques portraits que je compte sur le doigts d’une main pour lesquels j’ai l’impression en les regardant d’entre-apercevoir l’âme de mes sujets. Tant l’expression est sincère et le regard profond.
Ton plus gros fail, tu t’en souviens ?
MES plus gros fails tu veux dire ? Toutes ces fois où je suis sur-bourré, que j’ai l’impression de faire des photos nettes que ce soit lorsque je regarde dans mon viseur ou sur mon écran et que je découvre avec effroi que la quasi-totalité de mes photos sont floues. Pour ne parler que de celles où l’on aperçoit quelque chose.
Le meilleur lieu de fête actuel, pour prendre des photos ?
Sans hésiter, je réponds en AFTER à la Station – Gare des Mines. Parce-que j’y vois tout et n’importe quoi. Surtout n’importe quoi. Parce-que les gens sont tellement défoncés qu’ils ne me voient pas. Parce-qu’il n’y a aucune mise en scène : ne subsistent que la danse, la défonce, le sexe et l’humidité. Autant de chose que je peux capturer sans peine parce-que les conditions de luminosité sont idéales puisqu’il fait jour. En puis bien évidemment, rien à redire sur la programmation, l’aménagement de l’espace, ni même sur l’équipe avec laquelle j’ai plaisir à travailler.
D’autres photographes nuit, dont tu admires tout particulièrement le talent ?
Comment ne pas citer Marie Rouge, à qui je dois beaucoup d’ailleurs. Et je dois avouer que j’ai également beaucoup d’admiration pour le travail, et la maitrise du flash de Thomas Smith – The Party Diary.