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Manifesto XXI : « Il faut retrouver le goût de l’engagement : dans le travail, dans ce que l’on consomme, dans l’amitié et dans l’amour » – Heeboo

Manifesto XXI : « Il faut retrouver le goût de l’engagement : dans le travail, dans ce que l’on consomme, dans l’amitié et dans l’amour »

Interview Collectifs - Avril 30, 2019

Otto Zinsou

Pas facile facile d’être rédacteur aujourd’hui en France. Entre volonté de s’affranchir des diktats des réseaux sociaux, combat contre les fakes news ou encore course à l’audience qui fragilise les contenus de qualité, défendre des idées en 2019, parfois ça craint. En réaction à cette merde banalisée et animé par la volonté de faire bouger les choses, Manifesto XXI a vu le jour. Retour sur les cinq ans d’indépendance et de liberté du média web dont l’anniversaire tombe ce vendredi 3 mai à Petit Bain !

Manifesto XXI, qui est à l’origine un projet de fin d’étude, s’efforce d’englober et de représenter la diversité sociétale et culturelle en France. Petit combat de tous les jours à coups d’interviews et d’articles axés sur la musique, le cinéma, les arts ou encore sur des questions de société. L’objectif est toujours de favoriser la création émergente et ce, sous toutes ses formes. Le média regroupe une trentaine de rédacteurs bénévoles sensibles à la question du genre, au féminisme et à la sexualité. Leur ligne éditoriale se veut notamment « curieuse, queer et éclectique », jamais excluante. À l’occasion des cinq ans du collectif, Coco (rédactrice en chef), Bérénice et Apolline (vice-rédactrices en chef) reviennent sur les aventures, les réussites et les galères (nombreuses en Twingo) de Manifesto XXI. On vient donc souffler les bougies avec grand joie au côté et sur la musique de Mila Dietrich, Regina Demina, Vikken ou encore Calling Marian, à Petit Bain pour Manifesto XXI – Année V vendredi 3 mai !

Déclinez votre identité.

Coco : Rédactrice en chef qui plombe l’ambiance (les deux autres la rattrapent).

Bérénice : Reine du vice.

Apolline : Mi-comique, mi-control freak.

Ton MEILLEUR moment EVER, le plus BEAU, le plus MARQUANT depuis que t’es chez Manifesto XXI, c’était quoi ?

Coco : 2017. L’éclatement de #metoo, #balancetonporc, le scandale de la Ligue du LOL, la tribune contre Les Inrocks qui avait mis Cantat en couverture… Tous ces moments où l’actualité nous a prouvé qu’on était sur la bonne route et qu’on a pris position, toutes ensemble. À chaque fois qu’on lâche un papier explosif ça me donne des frissons.

Bérénice : Probablement l’été dernier quand j’ai travaillé sur la transphobie. J’ai récolté tous ces témoignages, parfois très durs, de personnes vraiment brillantes. Au moment d’écrire le papier puis en le sortant, avec tous les retours positifs des concerné.es, ça m’a fait réaliser à quel point Manifesto était un outil formidable de réunion, de dénonciation et d’archive de ces réalités-là. Ça m’a mis la petite larme.

« Si on suit un peu on captera qu’on fait souvent des choix stratégiques de festivals douteux et qu’on aime la complication. »

Apolline : Fin 2018, j’ai aidé la photographe Romy Alizée à écrire un texte contre la censure sexiste d’Instagram. Le texte a été signé par plus de 120 photographes et modèles, il a été publié dans Libération et on a été en parler dans l’instant M. Grosse fierté de pouvoir défendre nos idées aussi loin, avec une amie très chère et dans une émission que j’écoute tous les jours.

Le moment le plus DRÔLE, le plus COCASSE, l’anecdote la plus ABSURDE ?

Coco : 2016, un festival paumé en Normandie. Les orgas ne nous prenaient pas du tout au sérieux parce qu’on était jeunes et tout a été un enchaînement de malaises. On a dormi en tente à quatre sous une pluie diluvienne, on a toutes chopé la crève, on nous a pris pour des bénévoles et Bérénice s’est retrouvée à diriger le stand de pêche à la ligne avec des gosses chelous.

Johnny Mafia a mordu la cuisse de l’une d’entre nous, ivre, j’ai oublié d’enregistrer six interviews, je me suis tatouée un tigre sur le biceps et comme les orgas ne voulaient pas nous payer on a volé de l’alcool dans les loges… Au retour, Bérénice était tellement fatiguée qu’elle n’arrivait pas à conduire. Elle s’est arrêtée et a commencé à pleurer alors que la voiture était en pente. Elle a failli toutes nous tuer.

Événement L’Archipel, organisé par Manifesto XXI à La Station – Gare des Mines. Crédit : Otto Zinsou.

Bérénice : La toute première fois où je suis allée au festival dont parle Coco, c’était en 2015, avec ma coéquipière Alice Butterlin que je venais à peine de rencontrer. Nous étions alors de fringantes apprenties journalistes, on avait fait à tout casser cinq interviews dans nos vies et on était pleine d’entrain. Si on suit un peu on captera qu’on fait souvent des choix stratégiques de festivals douteux et qu’on aime la complication.

Là ça n’a pas raté. On est arrivées, Alice était terrassée par ses règles et a dû faire passer ça avec trois pintes – à 10h du matin – et une sieste dans ma Twingo. On était tellement stressées par l’exercice de l’interview qu’on prenait deux pintes chacune avant chaque entretien. À la fin de la première journée, on s’est retrouvées complètement décalquées, hurlant sur Enjoy Phoenix dans les loges. La nuit, on a fait le choix peu éclairé de dormir à moitié assises sur les places avant dans la voiture avec un duvet pour deux. On a crevé de froid. On était saoules. Puis, on s’est dit qu’on ne ressortirait jamais vivantes de cette expérience. Du coup on y est retournées à quatre l’année suivante.

Apolline : Pour la soirée l’Archipel à la Station en septembre 2018, il y avait beaucoup de vent et on faisait une expo éphémère dehors. Montées sur un escabeau, dans le vent glacé, on a attaché les panneaux en bois des petites cabanes à la barrière en métal pour que l’expo de Dwam Ipomée ne bouge pas. Bien sûr ça n’a servi à rien, la structure bougeait mais au moins les photos bougeaient avec.

Le plus grand fail, mais aujourd’hui on en rigole encore ?

Coco : Toujours en 2016, toujours en festival. On devait se rendre au Pete the Monkey, à Saint-Aubin sur Mer en Haute-Normandie mais on s’est trompées de Saint-Aubin. Notre Airbnb, on l’a réservé dans le village près de Caen. On avait trois heures de route et la nuit, pour rentrer, on a pensé prendre l’autoroute pour payer moins cher. Du coup on a passé six heures à errer dans les champs sans aucun GPS ni portable, le tout dans une Twingo pourrie. On a rigolé tout du long et quand on est enfin arrivées par hasard à destination à 6 h du matin, on avait oublié l’adresse du Airbnb. On s’est engueulées comme jamais et j’ai cru que notre amitié s’arrêterait là.

Bérénice : Il me semble que c’était le même été en 2016. On avait décidé de tester notre amitié par toutes les épreuves possibles. Notamment en réalisant notre premier fanzine – qui est magnifique, avec un graphisme au point réalisé par Lola Margrain – alors même que nous n’avions jamais fait ça.

Quand les premiers fanzines sont arrivés, on a réalisé qu’on avait fait des erreurs de marge de merde. Étant complètement explosives et perfectionnistes, j’ai sincèrement cru qu’on allait s’écharper puis se brûler sur la place publique. Alors même qu’on avait réussi à survivre à cet été de la mort en Twingo, on a failli se tuer pour des fonds perdus et des PDF mal exportés.

Apolline : Au festival de Hyères avec Coco, le samedi soir à la soirée de clôture dans l’Hippodrome. Open bar, plein de gens, grosse teuf. On s’est engueulées vener dans les marches pendant une heure pour un débat sur les claquettes-chaussettes.

Événement L’Archipel, organisé par Manifesto XXI à La Station – Gare des Mines. Crédit : Otto Zinsou.

Le truc, le message, la leçon, que Manifesto XXI vous a enseigné ?

Coco : Qu’il ne faut pas se plaindre. Il faut se bouger. On est dans un moment historique où il faut retrouver le goût de l’engagement dans chaque domaine de la vie : dans le travail, dans ce que l’on consomme, dans l’amitié, dans l’amour. Accepter que les choses belles sont difficiles et se battre pour. On n’est pas ici pour faire les choses à moitié.

Bérénice : Que le véritable collectif, c’est très rare, que c’est un subtil équilibre pour lequel il faut travailler très dur, pour lequel il faut toujours être empathique, dialoguer et ne jamais oublier de prendre en compte toutes les réalités. Et que c’est ce collectif qui va faire la nique – les mains dans le blouson – au morcellement des luttes.

Apolline : Vouloir devenir journaliste aujourd’hui c’est presque aussi compliqué – voire plus dur – que devenir artiste ou dj. Alors crois en toi, fais une croix sur les rageux et accroche-toi avec tes potes.

L’artiste qui vous a chamboulé ? Et pourquoi ?

Coco : Je vais être banale, mais Fishbach en 2015. Parce que c’était ma première interview et Manifesto c’était l’une de ses premières aussi, voire la première. Quand elle a commencé à monter, le magazine est monté avec elle ainsi que toute cette vague de meufs de la nouvelle pop française : Cléa Vincent, Clara Luciani, Juliette Armanet… C’était un tournant décisif pour nous toutes et notre meilleure intuition.

Bérénice : Là récemment c’était Crystallmess, une de mes dernières interviews. Son engagement, son érudition, sa capacité à allier discours et actions, et surtout sa légèreté au milieu de tout ça, ont vraiment mis un coup d’accélérateur à mon cerveau. Elle m’a fait réaliser l’importance de créer des nouveaux paradigmes, et de ne surtout pas s’excuser de ce qu’on est.

Apolline : Récemment, l’album de Sônge. C’est rare qu’on soit tous.tes aussi charmé.e.s et là on est unanimes. C’est une puissance créative très douce, et le choc c’est quand elle chante à capella en live.

La plus grosse crâme, la plus grande perche, le plus dur réveil, lendemain d’une soirée Manifesto XXI ?

Coco : Aux soirées Manifesto, interdiction de se la coller. Par contre, niveau fête qu’on a fait toutes ensemble, le lendemain de la Wet où je me suis réveillée avec une silhouette de Kristen Stewart dans mon lit. Après une course poursuite d’une bonne demi-heure dans la Villette pour la conquérir (c’est ma pote qui a couru pas moi) c’était pas mal. Depuis, Kristen est un membre de la famille.

« Un jour on fera une petite anthologie de nos conversations. Mais on repousse vraiment les limites tous les jours. »

Bérénice : No alcool en effet. En soirée Manifesto je me poste juste dans des coins en surveillant tout le monde et en essayant de ne pas être trop désagréable.

Apolline : Dans nos soirées on est très sobres, mais euphoriques. Si je ne suis pas en ronde pour vérifier que tout va bien, je me déchaîne sur le dancefloor. C’est nos soirées persos qui sont les plus drôles. On cale souvent des réunions avec nos contributeurs adorés les lendemains en gueule de bois. Le debrief est le premier point avant les discussions sérieuses.

Le mot pour rire, la bonne blague de/chez Manifesto XXI ?

Coco : Tout ce qui tourne autour de l’horoscope (on a notre propre horoscope sur Instagram, Horoscope de Merde) et du matraquage médiatique des gémeaux.

Bérénice : Je tiens à dire que je suis gémeaux. Elles sont juste toutes jalouses de mon génie. Mais je n’entends pas les rageuses.

Apolline : J’ai scrollé quinze minutes dans notre conversation de groupe pour trouver ma meilleure blague récente. Mes calembours sont des gouttes d’eau dans le déluge de nos échanges quotidiens. Un jour on fera une petite anthologie de nos conversations. Mais on repousse vraiment les limites tous les jours.

Le track d’anniversaire de Manifesto XXI ?

Coco : Grand Blanc, mon groupe préféré. Surprise Party ou Degré Zéro. Ça me plonge direct dans une ambiance, celle de nos débuts : ces couleurs sombres, ces nuits blanches, ces histoires d’amour merdiques, les weekends entiers passé en club, cette rage d’ado post-pubères… on était touchantes.

Bérénice : Hey hey guy de Ken Laszlo. Parce que c’est tout simplement la meilleure chanson du monde quand il s’agit d’aborder la vie avec espoir et puissance. Franchement ce son me donne juste une sensation de joie intense.

Apolline : La Fraicheur, Freedom is a constant struggle. Ça résume très bien ce qu’on a fait pendant  cinq ans et ce qu’on continuera à faire.

La personne qui selon vous, a le plus marqué Manifesto XXI ?

Coco : David Doucet. Merci d’avoir si bien incarné ce à quoi on ne voudra jamais ressembler.

Bérénice : Et puis Emmanuel Macron aussi, un bien beau symbole cynique de ce qu’on hait. Sa présidence aura étrangement coïncidé avec une affirmation très forte de notre ligne édito…

Apolline : C’est un peu banal comme réponse maintenant mais je dirais Virginie Despentes. King-Kong Théorie a été une lecture fondatrice pour ma vision du féminisme, pro sexe, et de la liberté en général. C’est une figure d’empowerment pour nous toutes aussi. On ne l’a toujours pas interviewée mais ça viendra surement (coucou !).

Le plus grand rêve qu’on peut avoir pour Manifesto XXI ?

Coco : Qu’on survive à nous-mêmes et qu’on fasse la couv des Inrocks en faisant le geste du cunnis (tirer la langue et faire le V avec ses doigts pour les moins experts).

Bérénice : Devenir l’organe de presse officiel du gouvernement. Embaucher Marlène Schiappa et rouler sur l’or.

Apolline : Qu’on trouve une formule magique, la recette du Coca ou un.e Pierre Bergé pour travailler toutes à temps plein sur le média et les events. Plus de limites, que des idées folles pour le media et les soirées.

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