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Lettre ouverte à tous les journalistes sur le traitement déplorable des free party dans les journaux français – Heeboo
HYPOCEAN

Lettre ouverte à tous les journalistes sur le traitement déplorable des free party dans les journaux français

Culture Club - Août 18, 2020

HYPOCEAN

La plus grande free party de l’été 2020, s’est tenue le weekend du 8 août, dans les Cévennes, sur un terrain dédié à l’accueil des brebis. En période de sécheresse, les agriculteurs se sont montrés plutôt mécontents. Les autorités eux, ont dénoncé des comportements irresponsables. Entre 5000 et 7000 personnes réunis devant un immense système son, pour fêter, en plein air, ça a de quoi faire rouspéter la France. Quelques jours après le début des festivités, et face aux forces de gendarmerie présentes sur place, ils n’étaient plus que 500. Très vite, l’espace a été vidé, et dans les journaux, un traitement très négatif était attribué aux ravers. Cet événement vient nourrir l’un des conflits les plus solides du monde de la nuit, celui qui oppose la free party aux autorités. Mis en relation par la page spécialisée Ab Party, on a souhaité, dans ce gros fouillis médiatique, donner la parole à un habitué des free, Grégoire Pontu. De la colère, et du bon sens. Lettre ouverte à tous les journalistes. Lecture.

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Lettre ouverte à tous les journalistes

Par Grégoire Pontu

« Je respecte votre discipline que j’ai étudié et pratiqué pendant quelques temps. Il faudrait cependant revoir le traitement déplorable des free party dans les journaux français.

En rentrant chez moi mardi après avoir participé à la free en Lozère, j’ai vu que depuis trois jours, les médias locaux comme nationaux multipliaient les articles, parfois copiés collés, parfois pour dire la même chose, parfois pour dire des mensonges, sur cet événement.Et toujours avec les même redondances et intervenants : la détresse des agriculteurs, la pollution, la gestion par les autorités, et petite particularité cette année, la peur d’un foyer de contamination.

Je comprends que ce soit les angles que vous allez considérer comme pertinents, car c’est de l’actualité chaude. Mais votre parti pris systématique dans le sens des autorités et leur omniprésence dans tous vos reportages devient gênant et révélateur d’une flemme totale de s’intéresser un peu plus au fond des choses. La teuf s’est terminée aujourd’hui, pas très bien pour plusieurs sound systems. Beaucoup de matériel a été saisi. Et je pense que les médias ont leur part de responsabilité.

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Concernant l’empiètement sur terrain privé/municipaux et l’impact écologique

Comprenez bien que si on rentre sur le terrain des gens, c’est parce qu’on est dégagés des terrains municipaux, aussi isolés soient-ils. Les portes-paroles du mouvement de la free party proposent des solutions depuis des décennies. L’autorisation d’accès à des lieux adaptés sans risques d’incendies ou d’accidents, légalisation des rassemblements pour permettre aux associations de se développer, et qui permettrait également aux organisateurs de nettoyer le site tranquillement après la teuf, une reconnaissance par le ministère de la Culture…

Après des années de tentative de discussion, des pétitions, des associations, des manifestations, une trentaine de teknivals revendicatifs en France, je pense que le message a largement été émis, mais vous étiez trop occupés à interviewer les policiers, les maires et les agriculteurs. Parce que le souci, c’est que depuis toujours, vous vous intéressez à la gestion de l’événement, et pas à l’événement en lui-même. Combien de participants, combien d’évacués et de blessés, combien de policiers et pompiers mobilisés ? Et surtout, combien on fait chier le monde avec notre bruit.

La free est toujours présentée sous le spectre de ses aspects négatifs, alors que ce sont en général les événements festifs les moins dangereux.

On défile, on fait des pancartes avec des messages écrits dessus, mais chaque fois que vous parlez de nous c’est qui on emmerde, et combien il y a eu de blessés. A ce propos, pourquoi vous en avez rien à faire de tout cela quand ça se passe en festival ? Ou absolument chaque soir dans des bars et clubs ? Parce que, justement, c’est tous les soirs. Donc on n’y fait plus attention. Et le problème est là. La free est toujours présentée sous le spectre de ses aspects négatifs. Alors que ce sont en général les événements festifs les moins dangereux.

Alors pourquoi, quand vous vous parlez d’une free, d’un teknival ou d’une manifestive, vous interrogez les autorités et jamais les organisateurs/participants ? À part pour des témoignages sans intérêt ? Pourquoi seuls les médias spécialisés donc de niche vont s’intéresser à l’événement en lui-même ? Alors que d’après le nombre d’articles sur ce week-end, les free sont des événements qui vous intéressent vous et vos lecteurs ? Le traitement médiatique du mouvement stagne, sa conception par les non-initiés n’a pas changé, donc le traitement judiciaire aussi.

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Concernant le possible foyer de contamination

Je trouve cela consternant qu’il faille s’expliquer là-dessus. Des milliers de personnes défilent, s’agglutinent, rigolent, s’assoient ensemble, chaque jours sur les quais et parcs de toutes les villes de France. Les parcs à thèmes, musées, cinémas sont tous ouverts et accueillent toute la semaine des dizaines de milliers de visiteurs. On s’affole mais il ne se passe rien. En fait si, le nombre de cas recensé augmente sensiblement, tandis qu’on teste plus de gens. Effectivement, il ne se passe rien. Ce week-end en Lozère, la préfecture annonce environ 5 000 personnes sur site pendant 3 jours. Contre 15 000 d’après les agriculteurs locaux. Un site totalement ouvert, avec des participants certes sans masques, mais très mobiles et assez peu agglutinés.

Je ne dis pas que le virus n’est plus présent. Je dis simplement que l’événement de ce week-end ne mérite pas le tollé médiatique infligé.
J’invite également à la lecture de cet article de 20 Minutes (https://www.20minutes.fr/…/2837379-20200810-coronavirus-rav…). Cet article a enfin remis en perspective ce que l’on sait sur la transmission de la Covid-19 et plus particulièrement dans les conditions des rave en plein air.

Journalistes, vous écrivez ce que vous voulez. Mais le fait est que votre travail, et surtout celui sur l’actualité chaude, alors que l’événement est encore en cours, va influencer son déroulement. D’après plusieurs témoignages de participants, les CRS ont aujourd’hui investi le site de la rave en masse ; ceci afin de saisir le matériel de sonorisation de toutes les personnes encore présentes. Parce que vous comprenez, il faut grossir le communiqué de presse de la préfecture et des autorités. Qui veulent se faire passer pour des héros en postant des photo de « l’évacuation ». Alors que le son est coupé depuis longtemps ; et que les derniers convois étaient en train de quitter le site.

Des centaines de CRS mobilisés, un hélicoptère de gendarme qui tourne pendant cinq jours, tout ça pour quoi sérieusement ? Va-t-on continuer longtemps cette politique de répression totalement inutile et bien trop chère ? Tout ça pour des saisies de matériel qui au final ne changeront rien à part pourrir la vie de leur propriétaire ? Parce que ce sont plusieurs milliers d’euros de matériels ; investis par des organisateurs qui veulent nous en faire profiter gratuitement, qui sont perdus. Ce sont des camions entiers, qui sont parfois aussi des maisons, ou des locations, qui sont saisis. Je suis dépité, et je parle seulement en tant que participant.

Je ne connais pas votre positionnement quant au mouvement, mais je ne peux pas croire que tous les journalistes qui ont écrit sur ce week-end aient décidé de choisir ces angles par conviction. Ni que la sur-médiatisation de la parole des autorités (durant ce week-end et depuis le début de la médiatisation des free) n’y est pour rien dans l’issue tragique, et trop peu isolée, de cette teuf.

Si j’ai raison, je vous invite à oser renverser la manière dont le sujet est traité dans les médias français. Votre parole a un poids dans la vie des gens, dans l’opinion publique et dans les actions des autorités. Vous pouvez ne pas prendre parti tout en évitant de ne laisser la paroles qu’aux officiels. Vous écrivez ce que vous voulez. Osez offrir la parole à chacun. Surtout à vous même. »

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