Qu’est ce qui se documente, à l’ombre d’un spot qui clignote et d’enceintes qui tremblent ? Que reste-t-il de la jouissance d’une nuit où l’on s’oublie ? Comment garder un peu en nous, ces passages de transit quasi ritualiste, que deviennent les clubs, warehouses et autres endroits de fête ? De nos yeux qui se ferment sur les jours trop longs, aux danseurs qui coulent sur les dancefloor, des poitrines qui se dressent fièrement, aux nuques qui frémissent sur les beats, la nuit, plus rien n’est interdit, mais peut-on tout montrer ?
Boum, boum, boum. Il suffit parfois d’un clic, et d’un clac, pour que tout perdure, pour juste un regard. L’instant joui, l’intense baiser, être comme suspendu à un fil, le temps d’une complicité. Les pistes de danse sont devenus les sanctuaires d’une génération fatiguée d’avoir à s’excuser d’être. Multiples et souffles de vie, les lieux de fête sont en 2020 les plus fidèles et authentiques terrains de jeu d’une jeunesse dont les désillusions sont devenues sources d’inspiration. Au regard de l’Art et de son rapport à la souffrance, danser la nuit -et parfois le jour, organiser des fêtes improvisées dans des friches abandonnées, investir des caves ou des parking sans vie, se confronter à la possibilité d’interventions policières, prendre le risque d’y laisser des plumes quoi, est devenu un moyen non de lutte, mais de résistance. Résistance et réaction à l’ennui, aux règles codifiées, aux contraintes données, à la non-célébration de l’être humain, au sentiment de non-appartenance.
On fait la fête, parce que sans ça, quand même, on se ferait drôlement chier. Non ? Et on en garde les souvenirs du coeur, et de la peau. Puis parfois, sur un cliché, celui d’un coup de foudre, d’un geste tendre, d’un regard volé, d’une tension qui ne dure qu’une minute. Mais l’éternité sous les yeux.
Les photographes qui arpentent vos sentiers de fête, au clair de lune, de toutes les lunes, s’appellent Otto Zinsou, Victor Maître, Rainer Torrado, Thomas Smith, Mariana Matamoros, Fanny Viguier, Jean Ranobrac, Marie Rouge, Théo Lecomte, ou encore Romain Guédé. Pour elles, pour eux, photographier l’espace festif n’est pas un contrat comme un autre. Pour elles, pour eux, se figer à quelques pas d’un groupe de danseurs en transe relève quasiment de la parade nuptiale. Partage, complicité, entendement, séduction passive, attaque frontale, à chacun.e sa manière de faire et d’emprunter le moment. Vivacité et fureur pour Maître, respect et douceur pour Zinsou, intimité et passion pour Rouge, complicité et partage pour Torrado, la photographie de fête est devenue l’art de plus d’un anti-héros. Si autrefois, le photographe Soon Night était voyeur et tout puissant, le photographe de fête, est aujourd’hui partie intégrante de l’instant de transe, membre de l’orgie, élément essentiel de l’euphorie de danse. Merci à eux, merci de réussir avec autant de talent à soulever le voile de la tendresse derrière l’apparente brutalité de l’instant.