Les Nuits Sauvages

GAMINE :  » Être féministe aujourd’hui ? C’est combattre le syndrome de l’imposteur » – Heeboo

GAMINE :  » Être féministe aujourd’hui ? C’est combattre le syndrome de l’imposteur »

Interview Collectifs - Janvier 5, 2018

ILOVEMAKI

Retourner une insulte, une désignation péjorative, dégradante et en faire quelque chose de positif, de bienveillant et de puissant, c’est le nouveau féminisme prôné par le collectif Gamine. Gamine c’est l’objet du sexisme, c’est celle sur laquelle on a trop craché sans jamais vraiment la regarder ; Gamine c’est une nouvelle soirée qui dit « non » ; ce sont des strass, des paillettes, du maquillage trop voyant, du rose, de l’exubérant, du « too much » pour dire : « je fais ce que je veux, je suis qui je veux, quand je le veux ».

Gamine c’est celle qui réinvestit le dancefloor et veut combattre un peu plus pour que les inégalités hommes/femmes disparaissent dans le club, devant et derrière les platines. Gamine c’est pour toi qui n’en peux plus des gros lourds en soirée qui se frottent à ton fessier, sans bien sûr, jamais demander. Gamine, c’est aussi et enfin, pour toutes celles et ceux qui aiment jouer avec leur look, sans trop se prendre au sérieux, et mettre à mal la notion de genre(s). Gamine, on te la présente donc aujourd’hui car c’est ta nouvelle soirée multi-facettes de début de soirée, à l’engagement féministe sans failles. Gamine #1 | Boum artistique et militante ϟ, c’est samedi 13 janvier au Pavillon des Canaux de 20 h à 02 h. Rencontre avec ses créatrices, Anastasia, Serena et Joanna.

LEA SOUMALI

Organiser une soirée, beaucoup de gens y pensent mais d’où vient l’impulsion réelle ? 

Anastasia : J’aime sortir en club, c’est un endroit qui me fascine. Dans mes différentes expériences professionnelles j’ai toujours veillé à être en lien avec cet univers. J’ai acheté un contrôleur il y a 5 ans pour apprendre à mixer, et j’essaie aussi de produire de la musique dans mon coin pour l’instant. Je notais régulièrement des idées de soirées qui me passaient par la tête, et le déclic pour moi ça a été de rencontrer Serena. On a crée notre émission sur Radio Néo, La Cabine, où on fait des reportages en club, des interviews d’artistes, d’organisateur-rice-s de soirées. Serena organisait déjà des soirées, et à force d’en parler ensemble on a voulu créer notre propre collectif.

Serena : J’ai acheté ma première paire de platines à l’âge de 16 ans. J’ai donc grandi avec la techno et avec tout un tas d’autres styles musicaux et je passais des heures à écouter de la musique. J’ai commencé à organiser des soirées quand je me suis installée à Paris, pour des raisons pratiques, car si tu veux mixer dans des lieux quand tu es pas connue, les bars/clubs te demandent d’avoir un collectif et d’organiser une soirée complète, sinon ils ne te bookent pas (uniquement en tant que dj). J’ai été dans un collectif mixte, puis j’ai rejoint deux autres collectifs mixtes, on s’est pris au jeu et on a organisé des soirées au feu club 56, au Batofar, etc. C’était déjà des soirées avec une dimension féministe et LGBTQI+ avec des dj set, des expos, des performances, des stands… En mai 2016, j’ai aussi co-organisé la première soirée LGBTQI+ à Ajaccio (Corse) dans un club, avec en tête d’affiche Dj Chloé.

Joanna : J’ai baigné dans le milieu artistique depuis que je suis petite : chant, danse, conte, différents instruments… Et je me rappelle avoir écouté des cassettes de techno/dance quand j’avais 8 ans. Quand je suis arrivée à Paris, je me suis mise à sortir d’abord en clubs hip-hop, puis à redécouvrir la techno, à écouter de plus en plus de trucs qui tabassent, à finir en grosse teuf dans des zones industrielles et en rave au milieu des bois. Là, je me disais souvent : « ok, j’aimerais bien être de l’autre côté et permettre aux gens de passer des bons moments ». En plus dans mon boulot j’organise pas mal d’événements et ça me plait. Anastasia m’a appelé un jour en me disant : « tu veux que l’on fasse des soirées à notre image ? Avec Serena on veut lancer ce projet ». Je leur ai dit ok et je pense que l’on s’est bien trouvées.

GAMINE c’est né comment ? Comment est venue l’idée ?

Anastasia : L’idée c’était de lier notre passion pour la fête, le djing à notre engagement féministe.

Serena : Pareil, on était toutes djs en rade de collectif et je me suis dit : « étant donné qu’à Paris, être dans des collectifs avec des mecs cis c’est la tannée (tu fais tout, la charge mentale tout ça), et si on faisait un truc qu’entre meufs ? ». Plus sérieusement, on voulait monter nos propres soirées avec une dimension féministe, pour palier un peu le manque de meufs et de personnes non mecs cis dans la nuit à Paris.

Serena : « Un dressing et des chaussures seront mis à disposition « 

Joanna : Comme les filles. Puis, je pense aussi que c’est pour donner envie à certaines filles de monter leurs projets, d’apprécier les soirées sans avoir à se prendre la tête, d’apporter tout le côté réflexion ou accompagnement lié à notre engagement. C’est important de participer à la création d’espaces où l’on se sent bien et libre d’être qui on est.

Le mood de GAMINE c’est quoi ?

Anastasia : C’est la fête et la danse pour toutes et tous, la bienveillance et le respect, et surtout la possibilité d’être soi ou quelqu’un d’autre, de s’habiller, se maquiller, se coiffer comme on le souhaite sans craindre les regards ou les gestes déplacés.

Serena : Ecouter de la bonne musique, s’habiller et se maquiller (un dressing et des chaussures seront mis à disposition durant nos soirées avec un stand maquillage) pour se réinventer (entendu dans RuPaulDragRace : « quand tu n’en peux plus d’être toi, le drag te permet d’être quelqu’un d’autre»), mais aussi découvrir des associations avec un engagement fort et des créatrices/illustratrices, tout ça pour en arriver à la conclusion : « Who Run the World ??? »

Joanna : « Le choix de ce nom a permis de faire prendre conscience de certaines choses à nos proches »

Joanna : C’est passer un bon moment avec ses potes, en rencontrer d’autres, danser, se sentir assez libre pour explorer son petit grain de folie, échanger, voir le bouillonnement d’idées et de projets qu’il peut y avoir autour de nous, échanger …

Pourquoi le nom GAMINE ?

Anastasia : On a fait un brainstorming pour trouver le pire surnom qu’on nous avait un jour donné en tant que jeunes femmes. L’idée c’est de se ré-approprier ce mot péjoratif et sa connotation sexiste et cela passe par la ré-appropriation de tous les codes qui vont avec pour en faire ce qu’on veut : les strass et les paillettes, le rose, le déguisement, le maquillage trop voyant, l’exubérance, le « too much », etc.

Serena : On a décidé de s’appeler Gamine afin de se réapproprier les dénominations négatives patriarcales qu’on peut entendre au cours de nos vies, qui sont insultantes et dégradantes pour les femmes, et d’en faire quelque chose de positif. Comme le dit notre description, les gamines et autres pisseuses investissent le dancefloor pour vous montrer qu’elles sont fortes et qu’elles ont le pouvoir !

Joanna : Je ne vais pas répéter ce que disent les filles mais ce qui est sûr c’est que maintenant dès que l’on utilise entre potes ce mot : « Wo, t’as fait ta gamine » ou « laisse-la c’est une gamine », on revient souvent dessus 20 secondes après en disant que l’on est tous le gamin ou la gamine de quelqu’un. On l’utilise facilement dans beaucoup de situations différentes et sans y réfléchir. Rien que le choix de ce nom a permis de faire prendre conscience de certaines choses à nos proches.

En quoi ça change des autres événements que vous avez pu organiser ou auxquels vous avez assistés jusqu’à aujourd’hui ?

Anastasia : Il y a déjà des soirées organisées par des femmes avec ce principe de stands et c’est génial. J’ai l’impression que les choses changent petit à petit et c’est très inspirant. De notre côté, on aimerait beaucoup que les personnes qui viennent jouent le jeu du look. On est aussi très pointues sur la musique et même s’il y a pas mal de stands, pour moi les djs restent le pilier de la soirée.

Serena : C’est impossible d’organiser une soirée qui ressemble à aucune autre. Notre truc en plus, c’est peut-être l’accent qui est mis sur le maquillage/le look et la possibilité de s’inventer un personnage sur place.

Joanna : Il y a des soirées avec des supers programmations mais les gens ne parlent pas vraiment (je pense notamment aux clubs techno ou aux grosses warehouse), puis à côté il y a des initiatives dans tous les coins où les gens parlent de ouf, il y a un côté fête libérée où les gens sont déguisés et ne se jugent pas. Le problème c’est que ce sont des soirées qui fonctionnent avec du bouche à oreille et sont assez secrètes. On voudrait faire une sorte de mix avec les choses qui nous plaisent dans ces différents mondes : la musique, la performance, la fête libre, le partage et le burlesque.

Être féministe et militante en 2017 ça veut dire quoi pour vous ?

Anastasia : Essayer de faire avancer les causes qui nous tiennent à cœur du mieux qu’on peut.

Serena : Se battre contre les forces du mal, comme Buffy !

Joanna : Combattre le syndrome de l’imposteur !

 Et être féministe ?

Anastasia : Défendre la liberté et les droits de toutes les femmes, sans oublier que les oppressions sont multiples (on peut subir à la fois le sexisme et le racisme, et le validisme, et le classisme, etc.). Pour moi, la sororité est une valeur centrale au féminisme, c’est d’ailleurs quelque chose qu’on veut mettre en avant dans nos soirées Gamine.

Serena : Être féministe, c’est se dire qu’on n’accepte pas d’être maltraitée, harcelée, diminuée, infantilisée, tuée, frappée, vue comme un bout de viande dans la rue et ailleurs, dégradée, payée moins que les hommes cis, d’être moins bookée en club ou en concert et pas respectée comme une pro tout ça parce qu’on est une femme… C’est se battre contre les oppressions, les inégalités, les discriminations… C’est aussi tout un travail de lutte contre le patriarcat, le cissexisme, l’hétéropatriarcat qui touche toutes les minorités +.

Joanna : c’est aussi permettre aux femmes qui veulent se lancer, qui veulent créer leur projet de pouvoir le faire et d’oser le faire. ON EST CAPABLE BORDEL.

Serena : « Les femmes djs sont moins respectées que les mecs cis »

Votre clubbeur.se GAMINE il ressemble à quoi ?

Anastasia : A tout ce qu’iel veut !

Serena : …sauf à un gros lourdingue sexiste !

Joanna : On peut rajouter quelques paillettes ?

C’est quoi, d ‘après vous, le premier track qu’on trouve dans sa playlist ?

Anastasia : NKC – Ariana

Serena : Whitney Houston – How Will I Know (Planningtorock Tribute remix)

Joanna : En ce moment : The Prayer – Electric Universe

Une égérie qu’on aimerait voir à la soirée GAMINE ?

Serena : Grace Jones !!!

Anastasia : Lady Gaga

Le programme vous l’avez monté comment ?

Anastasia : On a choisi des artistes et associations qu’on voulait mettre en avant, faire connaître. Pour le line-up c’est Serena (Cocodisko) et moi (Soeur), accompagnées par Elias 3O8 et Nightivities, des passionné-e-s qui ne jouent pas souvent à Paris et qui méritent d’être entendu-e-s.

Serena : Beaucoup de stands, des illustratrices et créatrices (I Love Maki, LEA SOUMALI, INGRID FEY), du maquillage, un dressing pour se déguiser et se « draguiser », La tatoueuse Mother of Medusa, l’association KÂLÎ (propose un accompagnement aux femmes étrangères subissant, ou ayant subi, une situation de violences et/ou de vulnérabilité en raison de leur sexe), l’association A Nous La Nuit (association de sensibilisation aux discriminations liées au genre et aux sexualités la nuit, dans l’espace urbain), et quatre dj set : Cocodisko, Soeur, Nightivities et Elias_3O8.

Joanna : Nous voulions vraiment avoir un espace clubbing et un espace expo/asso. Ça a l’avantage de faire découvrir des artistes et d’échanger !

Pourquoi d’après vous, en 2017, les meufs ont encore le “besoin”/ l’”obligation” de se réapproprier le dancefloor ?

Serena : Parce que les femmes djs sont moins bookées que les mecs cis dans les festivals et les clubs, qu’elles sont moins respectées, qu’elles sont encore victimes de sexisme devant et derrière les platines, qu’elles subissent des agressions sexuelles, qu’elles doivent encore se battre pour se faire une place sans être exotisées… (« wouaou une meuf qui fait de la prod »…)

Anastasia : Je compléterais la réponse de Serena en parlant encore de « sororité ». Les filles ne sont pas éduquées de la même façon que les garçons. De manière générale, les garçons font beaucoup de sports en équipe, ils font partie de groupes de musique, ils évoluent vraiment avec cet esprit du collectif, alors qu’on a tendance à encourager les filles à être jalouses les unes des autres, à être dans la méfiance. Et dans les clubs aussi, même si de plus en plus de collectifs de femmes voient le jour, on voit beaucoup plus de collectifs d’hommes djs et organisateurs de soirées. J’ai envie que les femmes se réapproprient le dancefloor ensemble, en groupe, pour reprendre le pouvoir du milieu du club et de la nuit.

Joanna : Dans certaines teufs je me retrouve souvent entourée presque que de mecs et je me dis « mais où sont les femmeees ? ». On aime danser, on aime la musique, on a envie d’apprendre … mais on n’aime pas se prendre la tête pour savoir comment on va rentrer, si on va se faire pointer à l’entrée du club, se sentir comme un tout petit poisson au milieu d’un gang de requin et une fille qui fait la fête « c’est pas une fille fréquentable ». Donc nous on veut que les meufs se disent : « tu connais la Gamine ? viens on y va avec les filles, on s’y sent bien, pas de gros lourds, on y rigole et on danse sur des musiques de folie ».

Pourquoi ce choix de lieu au fait ?

Serena : On a eu un plan via Radio Néo qui nous a d’abord rencardées au Bar à Bulles qui nous a recommandées au Pavillon des Canaux et l’équipe qu’on a rencontrée sur place était super et partante pour notre concept. C’est un lieu super bien aménagé, avec plusieurs pièces, qui se prête à la fois à la danse mais aussi aux assos, stands etc.

L’avantage d’organiser une soirée, c’est quoi ?

Serena : De pouvoir se la jouer en soirée.

Anastasia : C’est comme organiser sa propre boum d’anniversaire mais en mieux.

Joanna : De rencontrer pleins de gens et de mettre de la musique que l’on aime !

On y boit quoi à la soirée GAMINE d’ailleurs ?

Serena : On y boit ce qu’on veut ! Personnellement je ne bois pas d’alcool donc j’ai toujours quelques sachets de thé sur moi que je fais infuser dans l’eau chaude des toilettes.

Anastasia : Beaucoup d’eau pour s’hydrater entre deux performances sur le dancefloor.

Joanna : De la bière, des caïpi ou des cocktails avec des couleurs ? Je ne suis pas une grosse buveuse non plus.

On y danse quel type de musique ?

Serena : De la techno pour ma part.

Anastasia : De la club music sous toutes ses formes

Joanna : Les premiers amours : rave, trance, techno et hip-hop. Si on pouvait créer un grand battle ça serait le feu !

Elle est copine de quels autres collectifs la soirée GAMINE ?

Serena : Gamine est copine avec Streetzouz et Le Tag Parfait, les deux partenaires de notre première soirée !

Joanna : Nous on est copines avec tout le monde du moment qu’il y a du fun, du respect et des paillettes.

LEA SOUMALI

On attend quoi de cette toute première soirée en vrai ?

Serena : On attend que les personnes s’amusent et partent de notre soirée avec plein de strass dans les yeux et l’envie de s’engager encore plus.

Anastasia : J’ai vraiment envie que les personnes se souviennent de la Gamine comme d’une soirée où on s’amuse pour de vrai. Que les personnes repartent avec le sentiment d’avoir appris des choses, d’avoir rencontré d’autres personnes bienveillantes et surtout d’avoir passé un moment hors de la vie quotidienne, d’avoir pu être ce qu’elles voulaient être.

Joanna : On attend des : « c’est quand la prochaine ? »

L’avenir de la soirée GAMINE il est où, il est fait de quoi ?

Serena : Il est fait de rencontres, de danse, de musique, de déguisement, d’engagement et de liberté !

Joanna : On espère d’autres soirées avec le même esprit ! J’aimerais bien qu’il y ait aussi un espace pour aider les filles qui veulent entreprendre mais pour ça il faut que j’en parle aux autres gamines (vous êtes dans la confidence).

 Illustration cover ILOVEMAKI

Adeline Journet

Articles similaires

Plus d'articles

Mixtapes

Mixtape 12. | Mancerow


La montée

Fatma Pneumonia : « J’ai une petite fascination pour les mots qui évoquent la maladie, le pourrissement »


Les teufs du mois

Les 5 teufs à ne (surtout) pas rater en février 2018


Mixtapes

MIXTAPE 95. | BLNDR