Les Nuits Sauvages

À vouloir étouffer les révolutions pacifiques, on rend inévitables les révolutions violentes – Heeboo

À vouloir étouffer les révolutions pacifiques, on rend inévitables les révolutions violentes

tribune - Octobre 15, 2018

Dur temps pour la fête et la célébration des cultures électroniques. Depuis quelques semaines, les annulations de fête hors-club s’enchaînent. Hasard ou politique de répression, besoin de remettre le fêtard derrière quatre murs, question de contrôle et d’encadrement des flux, impuissance et incompréhension du haut face à une nouvelle manière du bas, plus punk et rebelle, de gérer sa nuit  ? La question court toujours. Le message n’est pas très clair, mais pour beaucoup, entre optique de bouleversement des paysages urbains pré-jeux olympiques et gonflement du Grand Paris à tout prix, cela n’augure… rien de bon.

Après les annulations successives des soirées techno Possession x Raw et Fée Croquer, le weekend du 15 septembre, c’était au tour de Brakage, collectif pluridisciplinaire d’annoncer la triste nouvelle : leur soirée prévue en hangar le samedi 13 octobre, était annulée. Au dernier moment, la mairie d’Aubervilliers refuse de céder les locaux prévus…

C’était un lundi 8 de ramasse comme un autre et les membres de Brakage annonçaient la triste nouvelle : plus de teuf, ART ATTACK est annulé. Retour sur le message posté aux internautes le jour même.

« // NOUS ACCUSONS //
La deuxième édition de notre festival pluridisciplinaire, Art AttaK jusqu’au petit matin ☾, aurait du se dérouler le 13 octobre dernier, avec au total une vingtaine d’artistes et intervenants de disciplines diverses et variées (musique, photographie, ateliers participatifs, poésie, tatouage, installation, sculpture, DJ sets, mode, performances…)
La mairie d’Aubervilliers nous a confirmé la mise à disposition gracieuse du local (de type hangar) en juillet.
Tout le collectif a donc passé l’été à travailler sur ce projet ambitieux.
Pour un collectif indépendant de toute institution financière ou commerciale, célébrer ses 1 an avec un événement aussi important semblait de l’ordre du rêve, et nous avions réellement envie de créer de moment de « vivre ensemble » en tant que membres de la vie culturelle et artistique parisienne.
Après plusieurs lapins posés à la dernière minute par des représentants de la mairie d’Aubervilliers lors de visites prévues, nous étions réduits à visiter les lieux à environ dix jour du début de l’événement. Ce qui en terme d’organisation ne nous arrangeait pas du tout. Mais soit.
Les représentants de la mairie d’Aubervilliers nous avaient certifié qu’il y aurait une visite lundi dernier à 14 h. Nous avons donc donné rendez-vous à 14 h à plusieurs artistes qui devaient exposer ou performer pendant Art Attak, mais également des prestataires et amis du collectif (Terrain Vague ; Martopitek ; Might pour ne citer que ceux là). Deux heures avant la visite, alors que l’événement était confirmé depuis juillet, nous recevons un message de notre interlocuteur à la mairie pour dire que « du à un arrêté préfectoral nous ne pouvons plus vous prêter le lieu. Les événements de plus de 150 personnes doivent avoir une sécurité renforcée que nous ne pouvons pas vous fournir. »
Très bien, dans ce cas nous utiliserons nos fonds pour avoir de la sécurité supplémentaire ? Ou alors nous limiterons l’entrée à 150 personnes pour faire coûte que coûte cet événement et ne pas voir tous nos efforts jetés à la poubelle ? Leur réponse : « En fait pour une question de sécurité il faudrait agrandir les passages du hangar et nous ne pouvons pas le faire. » Et ce n’est pas possible de bloquer les passages et n’utiliser qu’une partie du lieu ? Leur réponse : « Non. »
Autrement dit, la mairie d’Aubervilliers nous a proposé un lieu qui n’est pas viable et avait pourtant tout son temps pour y remédier.
Et si les raisons mentionnées n’avaient rien à voir et qu’en fait toute cette histoire n’était que la suite de la politique repressive des cultures « non-hégémoniques » que met en place Valerie Pécresse (LR) présidente du conseil régional d’Île de France, qui veut notamment un « doublement des peines » dans les quartiers « les plus criminogènes » ?
C’est donc avec le coeur lourd que nous vous avons annoncé l’annulation (ou devrais-je dire le report, si nous arrivons à trouver un lieu adapté au printemps) de notre festival Art AttaK jusqu’au petit matin ☾.
Brakage se rajoute donc à la liste des collectifs qui se voient mettre des bâtons dans les roues, après il y a deux semaines l’annulation des événements de nos collectifs aînés Possession et Fée Croquer.
Nous voulons donc remercier toutes les personnes impliquées dans le projet Art Attak :
Louis Motin, Utopia 56 – Utopia 56 Paris et Ile-de-France, Céleste Gatier, Hors PairE, Leonardo Nicoletti Photography, Julien Rg, Clément Nourry, Nozak Vasil, Todasana, 37 Melo (2T & Esno), delta JAM , Alexandra Colart, Theo Baize, Lea Fréry Waldmann, Axel Picodot, Sam Lux, ottoman.grüw, Iannis Rezgui / Solah, ZEPHYMIR, Saunö (Saumon& Sansö), Terrain Vague, Le Bercail, Richard’s Hot Dog; Heeboo, Heetch, Beat à l’air, PWFM, LE LAB Festival, SAKATRAK, et notre équipe de bénévoles super motivés. On espère n’oublier personne.
Pour se consoler nous vous invitons avec tout notre amour à continuer la fête à notre prochain événement, le 10 novembre pour Brakage 2.0 – le turfu au Le Gambetta Club.
“À vouloir étouffer les révolutions pacifiques, on rend inévitables les révolutions violentes.” – John Fitzgerald Kennedy

À méditer. »

« Le rôle des autorités est d’encadrer la fête libre, et justement qu’on puisse travailler ensemble et pas jouer au chat et à la souris »

Dur. L’occasion pour nous de poser quelques questions à la team. Jean, Thomas et Clément s’expliquent, entre coup de gueule et besoin de nuancer la pensé : réactions, convictions, vision du futur d’une fête peut-être plus radicale ? Plus de communication et de solidarité entre organismes de fête et autorités ? Les possibilités sont multiples. Rencontre.

Comment expliquer que des grosses soirées techno parisiennes soient touchées, depuis quelque temps, et de plus en plus fréquemment, par les pressions exercées par les autorités ?

Jean : J’ai l’impression que les périodes de liberté ont souvent été suivies par des périodes de repression. Depuis deux ou trois ans peut-être, Paris connaissait un nouvel âge d’or de la fête et peut-être ça, c’est le retour de flamme.

Thomas : Les autorités ne sont pas encore totalement habituées à cette nouvelle vague que représente la fête libre, il est vrai que ce contexte est plus propice aux débordements et c’est sur ce point qu’ils ont bloqué selon moi.

Clément : Je serai plus nuancé que les autres je pense. A mon sens c’est aussi leur travail de prévenir ce qu’on appelle des troubles à l’ordre public. Qui ne s’est jamais dit en sortant à 10 h d’une warehouse, bière à la main avec tout un troupeau derrière que les habitants du quartier devaient pas forcément trouver ça agréable ? Cependant, le rôle des autorités est d’encadrer la fête libre, et justement qu’on puisse travailler ensemble et pas jouer au chat et à la souris.

Ça augure de quoi à ton avis ? Tu la vois comment la suite ?

Jean : Vu que les temps changent, malgré qu’il y ait un nouveau vent de répression : soit ça ne va rien changer sur la quantité des événements et à un moment donné le gouvernement sera obligé de se plier, soit le gouvernement voudra entamer au bras de fer et les soirées techno seront à nouveau en marge et auront quelque chose d’à nouveau radical. Ce qui après réflexion n’est pas si mal.

Thomas : Je pense que tout va s’arranger, de notre coté nous n’avons rien à nous reprocher donc c’est au gouvernement de s’informer correctement sur le déroulement et l’importance de ces événements. Sinon tant pis, ça passera quand même.

Clément : À mon sens on voit déjà des choses positives, des collaborations avec des mairies (même si parfois vraiment foireuses) proposant des vraies offres culturelles et je pense que c’est dans ce cadre que doivent s’épanouir les soirées techno”. Après des arrêtés préfectoraux il y en aura toujours et malheureusement si on peut pas engager de dialogue c’est difficile à prévenir.  

Tu penses qu’aujourd’hui, le besoin de fête est plus grand qu’hier ?

Jean : Je ne suis pas sûr qu’il soit plus grand et grandissant qu’hier par contre les rapports à la fête changent clairement, je vais pas épiloguer là dessus car on le sait tous un peu, mais la mise en spectacle de tout ce qui fait la vie y est probablement pour quelque chose.

Thomas : Aujourd’hui selon moi et pour ce qui nous concerne, la fête libre attire de plus en plus et c’est plutôt une bonne chose.
« Ces difficultés ne nous freineront pas ma couille »
Clément : Je pense que les gens en ont un peu marre d’être pris pour des consommateurs d’événements et qu’ils seraient contents de reformer ces tribus de teuffeurs qui existaient avant. Et d’ailleurs on voit que les gens aiment revenir aux même soirées, qui sont pas forcément les plus grosses . Mais non je pense que les gens ont toujours eu envie de faire la fête quelque soit les périodes.

Un gouvernement qui exerce une répression sur les lieux de fête, ça t’inspire quoi ?

Jean : Le fait qu’il y ait des descentes sur des lieux de fête c’est totalement con. Bien sûr que c’est con d’empêcher la tenue de l’événement en amont (hello c’est ce qui nous est arrivé ) mais le fait que des CRS débarquent comme des cowboys dans une warehouse c’est assez grotesque et ça montre clairement qu’il y a quelque chose de symboliquement fort qu’on essaye d’empêcher.

Thomas : Je dois dire que c’est assez triste de devoir arriver à un déploiement des forces de l’ordre dans un contexte culturel et festif, soit disant un problème d’ordre public. Donc oui d’une certaine manière notre activité dérange, alors il va falloir se serrer les coudes !

C
lément : Bah c’est vrai que visuellement déjà on dirait deux mondes qui s’affrontent. Mais comme je le disais, avec un brin d’engagement politique de la part de certains élus et des acteurs de la fête responsables, je pense qu’on peut toujours éviter le pire. Mais parfois ça n’est pas le cas…

Un mot un message à faire passer à ceux qui vous suivent ?

Jean : Le 10 novembre on fait un petit truc à la cool au Gambetta Club,  Brakage 2.0 – le turfu ☾,et des gros et beaux projets arriveront dans peu de temps également. Après la pluie vient le beau temps.

Thomas : Ces difficultés ne nous freineront pas ma couille, on reviendra toujours plus forts avec de nouveaux events toujours plus cool et décadents, oh yeah !

Clément : Bah qu’on est un peu désolés parce qu’on attendait beaucoup de cet événement en tant que collectif et aussi parce que ca s’approchait pour nous de l’événement idéal, qu’on aimerait toujours monter et qu’on va tout faire pour monter vers le printemps/été. Mais on va évidemment revenir avec toujours la même intention de faire plaisir un max à nos habitués criminels des soirées Brakage.

Un message à faire passer aux autorités ? Au gouvernement ?

Jean : A vouloir étouffer les révolutions pacifiques, on rend inévitables les révolutions violentes. Bisous les michtos.

Thomas : Vous avez mieux à faire les frères !!

Clément : Venir au contact des acteurs de la fête pour qu’ils se rendent compte qu’on veut de mal à personne et même le contraire. Et que ca serait tellement mieux sil y avait du dialogue même avec des petites structures comme la nôtre !

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