Trois ans maintenant qu’Olga Darfy nourrit son bébé technoïde Moi, Gagarine. A travers souvenirs sensuels et rêveries anecdotiques, la réalisatrice russe raconte les premiers jours de la musique électronique russe. Episode inédit et peu raconté de l’époque post-soviétique et plus généralement, de l’histoire de la musique électronique mondiale, c’est la liberté et l’ouverture au monde qui s’opère alors à cette époque à Moscou. Nous sommes à dix jours de la chute de l’Union. Nous sommes en décembre 1991 et Olga nous raconte les premiers tremblements du clubbing post-soviétique…

Olga Darfy – “J’étais à la toute première rave russe. Oui. Et cet événement, ce jour particulier, a changé ma vie. Nous sommes en décembre 1991 à Moscou, au pavillon Cosmos du VDNKH -aujourd’hui “Centre pan-russe des expositions”-, c’est un gigantesque pavillon couronné par une grande coupole de verre. C’est là qu’on exposait à l’époque les exploits des cosmonautes russes. En bref : notre fierté, le meilleur de l’Union soviétique !

“Tous ceux qui avaient entendu parler de cette soirée et n’avaient pas eu peur de venir ont dansé dans un véritable tourbillon de musique.”

Je pratiquais la danse classique, j’y prenais des cours de ballet. Jusqu’à la chute de l’URSS, dans la salle de bal de l’école à l’auditorium, à 22 heures pétantes, on éteignait la musique et le directeur de l’école avait pour habitude de nous dire : « Et maintenant on rentre tous à la maison et on va se coucher». Les écoliers sortaient toujours de la salle en poussant de grands soupirs et se dispersaient lentement pour rentrer chez eux.

Un soir de décembre, je me retrouve dans ce pavillon géant ; à l’intérieur : des morceaux de vraies fusées et de satellites, des lasers partout et une foule bigarrée qui danse un peu partout. Je découvre alors avec étonnement que pour la première fois, on va pouvoir danser… toute la nuit ! C’était d’ailleurs la première fois que j’entendais de la musique aussi forte.. Tellement forte, qu’à un moment, le verre de la coupole a explosé. C’était fou. Toutes sortes de gens étaient présents, je n’avais jamais vu ça de ma vie. Il y avait des acteurs connus, des cosmonautes, des gens de la télé, des prostituées, des bandits et d’anciens étudiants. Tous ceux qui avaient entendu parler de cette soirée et n’avaient pas eu peur de venir ont dansé dans un véritable tourbillon de musique.

La soirée avait été organisée par des jeunes de Saint Petersbourg, enfin deux collectifs pour être exacte : d’un côté les Block Limited – il y avait une mode nouvelle pour les noms étrangers, ça faisait classe – et d’un autre côté le club Tantzpol -qui veut littéralement dire “dancefloor”. Le collectif Block limited avait été fondé par des jeunes d’une vingtaine d’année : entre autres Genia Birman, fils d’un cinéaste russe connu, et Vania Salmaksov, issu de la famille d’un procureur militaire. Ils organisaient à l’époque des soirées à Saint-Petersbourg et Moscou. Le club «Tanzpol», lui, avait spontanément surgi à Saint Petersbourg dans un squat où vivaient des peintres, sur la Fontanka au numéro 145. Tanzpol était né sous l’impulsion de deux artistes : Alexei Khaas, jeune musicien et promoteur et Miha Voron, designer de mode devenu DJ par la suite. Tanzpol était d’un style du 19ème siècle, avec jolis plafonds et belles moulures. C’est un lieu qui est rapidement devenu populaire chez les jeunes et intellectuels russes. Et c’est ce mouvement qui a donné lieu par la suite à l’organisation de ces énormes soirées…”


Pour participer à l’aventure de ce précieux documentaire : Moi, Gagarine / Petit à Petit Production