Les Nuits Sauvages

Paris ne fête plus clair : quelles solutions ? – Heeboo

Paris ne fête plus clair : quelles solutions ?

Culture Club - Novembre 20, 2019

Mariana Matamoros

Alors que les incidents se sont démultipliés au sein des clubs parisiens au cours de l’année passée, toute la scène techno s’interroge et s’organise. Comment assurer une fête plus safe sur la capitale ? Information, prévention, responsabilisation… Frédéric Hocquard – adjoint à la Mairie de Paris – et Tony Lemâle – membre du Comité des Noctambules parisien – ont pris le temps de nous en dire plus sur les solutions qui s’offrent à nous.

Quand j’entends « la fête c’était mieux avant », j’ai comme de petites démangeaisons aux côtes et dans le cou. La nostalgie, ce n’est pas trop mon truc. Je me suis donc surpris moi-même quand, la semaine dernière à l’apéro, la phrase est sortie toute seule de ma bouche. On était entre potes, tranquilles, jusqu’à ce qu’on ne commence à parler soirées parisiennes et qu’un léger malaise ne s’installe à la table. 

Paris ne tourne pas très rond en ce moment. Pourtant, ce n’est pas l’offre qui manque, alors pourquoi parle-t-on autant de viols, de comas, de disparitions, d’overdoses… Les incidents semblent se multiplier et toute la communauté techno s’interroge. Que s’est-il passé ? C’est quoi le problème en ce moment ? Sur internet, on cherche les coupables. Certains s’en prennent aux clubs qui « se foutent de leur public », d’autres fustigent la répression gouvernementale qui pousse au statu quo et, quelques courageux risquent les rafales en pointant l’inconscience dont le public sait aussi faire preuve

Alors que des clubs parmi les plus dynamiques de la capitale sont menacés, certains réfléchissent et envisagent des solutions. Dans cette débâcle, Heeboo donne la parole à Frédéric Hocquard, adjoint à la Mairie de Paris en charge de la vie nocturne, et à Tony Lemâle, clubbeur parisien et membre du comité des noctambules, pour trouver ensemble le fond des problèmes et les moyens de les résoudre.  

Accidents, inquiétude et chasse aux sorcières

À défaut d’avoir été réjouissantes, les nuits de l’été 2019 auront suscité débats et polémiques. Inutile ici de revenir en détail sur les incidents majeurs qui auront rythmé notre été ; ceux-ci ont déjà longuement été discutés. On se souvient surtout du viol, commis en août dernier à NF-34, club déjà mis en cause auparavant lorsque, en 2017, trois personnes avaient perdu connaissance après y avoir consommé du GHB. On se souvient surtout très clairement du décès par overdose d’un jeune homme de 21 ans à Dehors Brut. Des accidents qui, différents et spécifiques, auront attristé toute la communauté et donnent la sensation qu’il y a quelque chose de pourri au royaume de la techno.   

© Victor Maître

Le mois de septembre aura ainsi été rythmé par de nombreux débats au sein du public parisien. Des discussions parfois tendues entre clubbeurs qui s’inquiètent et cherchent des coupables. Fêtard aguerri et membre du comité des noctambules, Tony Lemâle suivait de près ces échanges. Selon lui, « les internautes n’ont pas été aussi durs envers Dehors Brut qu’ils l’ont été avec NF-34 » : « L’image des Nuits Fauves avait déjà été très entachée par les comas sous GHB en 2017. Le public a tout de suite pointé le club du doigt, l’accusant de ne pas se soucier de ses clients ». Après tant de scandales liés au même club, les fêtards n’étaient pas prêts à l’excuser et s’interrogeaient même sur l’absence de sanctions. Le club sera finalement puni quelques semaines plus tard par la Préfecture de Police, et reste aujourd’hui sous le coup d’une fermeture administrative.   

« Bien qu’il ait été beaucoup plus grave, puisque soldé par un décès, l’incident à Dehors Brut a suscité des réactions bien plus indulgentes envers le club, reprend Tony. Aucun incident du genre ne s’était jamais déroulé à Concrete. Les internautes ont globalement pris la défense du club et orienté les débats autour de la responsabilité individuelle de chacun ». Moins sensible aux charmes de Surprize, le Préfet condamne, cette fois sans nul préavis, Dehors Brut à la fermeture administrative. Une décision que Frédéric Hocquard, adjoint à la Mairie de Paris en charge de la vie nocturne et de la diversité de l’économie culturelle, juge « injuste » : « C’est la première fois que je m’oppose à une décision de la Préfecture de Police. D’une part, le club a immédiatement réagi face à la détresse du jeune homme en le transportant à l’antenne de la Croix-Rouge présente sur place et en appelant les pompiers. D’autre part, l’équipe de Surprize n’a jamais connu d’incident de cette nature en huit ans d’activité à Paris. Concrete a toujours pris part aux campagnes de prévention initiées par la Mairie ». 

Une responsabilité partagée 

Dans la panique, il est facile de dire : « ce n’est pas moi, c’est le voisin ». Il est plus difficile de regarder dans le miroir et d’admettre que nous sommes tous un peu responsables. Pour Frédéric Hocquard, ce constat est évident : « On ne peut pas décemment dire que les clubs sont les seuls coupables. Les facteurs qui ont mené à ces drames sont nombreux ». Pour l’Adjoint à la Mairie de Paris, il faut d’abord intégrer que les produits consommés en 2019 ne sont pas les mêmes que ceux qui l’étaient il y a encore quelques années. « La popularisation du GHB en milieu festif est à mettre en cause. C’est un produit dangereux qui, lorsqu’il est mal consommé, peut entraîner des conséquences très lourdes ». Reprenant le cas du décès de Louis, il précise également que « les pilules d’ecstasy qui circulent aujourd’hui sont nettement plus dosées qu’avant » : « Les analyses sur le jeune homme décédé à Dehors Brut ont constaté que le dosage de son ecstasy était quatre fois supérieur à la moyenne. C’est d’abord ce surdosage qui a conduit au drame ». 

© Rainer Torrado

Frédéric Hocquard et Tony Lemâle s’entendent pour dire que les clubs sont rarement à mettre en cause dans ce genre d’incidents. Présent le soir du drame à Dehors Brut, Tony tient même à souligner le « professionnalisme » dont ont fait preuve les équipes du club. « Leur réaction a été rapide et responsable. On accuse souvent les clubs mais je crois qu’ils font vraiment de leur mieux ». Habitué à sortir tous les week-ends, Tony ne nie pas que les clubbeurs doivent se responsabiliser. « J’ai l’impression que les gens consomment plus et plus dur aujourd’hui, confie-t-il. Je crois aussi que les nouveaux publics ne se soucient pas des risques. Les plus jeunes ont généralement de plus petits budgets. Ils se rapatrient donc sur l’ecstasy et le GHB qui coûtent moins cher. En soirée, il m’arrive de plus en plus de croiser ces jeunes dans de sales états. J’essaie parfois de leur rappeler qu’il faut fractionner leurs pilules ou boire de l’eau ». 

Si les produits qui circulent sont de plus en plus dangereux et que les nouveaux publics semblent peut-être moins conscients des risques, Tony ne croit pas à une recrudescence de ce genre d’incidents. Il rappelle d’ailleurs que les chiffres des décès liés à la consommation de drogues « ne sont pas en progression et restent inférieurs à ceux liés au tabac et à l’alcool » comme le rapportait un agent de l’AP-HP lors d’une réunion du Comité des Noctambules. Selon Tony, il faut aussi regarder du côté des autorités qui ne donnent pas aux clubs et usagers les moyens de lutter contre les risques : « La France est le seul pays européen qui sanctionne encore les clubs en cas d’accident lié à une consommation de drogue en leur enceinte. À une époque, certains clubs n’hésitaient pas à sortir les victimes de malaises pour ne pas être mis en cause. Si elles veulent vraiment assurer plus de sécurité, les autorités devraient travailler avec les clubs, pas contre eux ». Un point sur lequel Frédéric Hocquard rejoint Tony. Selon lui, le véritable problème, ce sont les politiques répressives.

Moins de répression, plus de prévention

Adjoint à la Mairie de Paris en charge de la vie nocturne, Frédéric Hocquard est catégorique : « Les politiques répressives ne servent à réduire ni la consommation de stupéfiants ni les risques sanitaires qui y sont liés ». Dans le cadre du monde de la nuit, la répression n’est pas qu’un bouclier défenseur. C’est aussi une stigmatisation, un déni et des interdits qui empêchent les informations de circuler et la prévention d’exister

« La seule solution pour éviter ce genre d’accidents est de faire de la prévention, estime Frédéric Hocquard. Il faut informer le public sur les produits qu’ils consomment et les clubs doivent être soutenus par les pouvoirs publics dans cette démarche ». Tony affirme lui aussi que la guerre contre les drogues n’aide pas à encadrer leur consommation : « Aujourd’hui ça ne sert à rien de vouloir interdire la consommation de drogues. Il est tellement facile de s’en procurer. Ce qu’il faut c’est informer et accompagner les gens ». Particulièrement attentif aux discussions sur le sujet, Tony estime qu’il est temps de proposer des « tests de produits dans les clubs » : « À Paris, on en parle de plus en plus. Les riverains ont voté pour qu’un camion testeur puisse tourner dans la ville et vienne dans les clubs certains soirs. Dans la journée, tu pourras passer au camion et faire tester ton produit. On t’informera sur ce qu’il y a dedans et on te conseillera sur la manière de consommer ton produit ». 

« Il faut comprendre que l’idée n’est pas d’inviter les gens à consommer mais de mieux encadrer leur consommation »

Alors qu’est-ce qui empêche la Préfecture d’avancer sur cette voie et de permettre aux consommateurs de minimiser les risques ? « Le problème, c’est la limite entre prévention et promotion », répond Frédéric Hocquard : «  Il faut comprendre que l’idée n’est pas d’inviter les gens à consommer mais de mieux encadrer leur consommation. Si on avait pu dire à ce jeune homme qu’il ne faut pas consommer d’alcool sous ecstasy, qu’il faut être en bon état de santé et que sa pilule était surdosée, nous aurions évité un drame. C’est comme cela que l’on sauve des vies ».

Alors que les discussions battent leur plein à la Mairie de Paris, Dehors Brut a d’ores et déjà rouvert ses portes. Le 10 novembre dernier, le club inaugurait même le premier stand de test de drogues au sein de son établissement. Si la loi n’interdit pas cette initiative, elle tient toujours le club comme responsable de l’entrée de produits stupéfiants en son enceinte. Aujourd’hui, Frédéric Hocquard estime qu’il est temps de revoir ces législations, et que plus de moyens doivent être mis en œuvre pour réduire les risques liés à la consommation en milieu festif. De son côté, Tony nous informe que les clubs et collectifs planchent actuellement sur une campagne d’affichage commune pour impacter leur cible directement sur les lieux de fête. Déterminée à fêter clair, Paris semble avoir pris conscience du problème et espère pouvoir lutter plus facilement à l’avenir contre ces incidents qui transforment le dancefloor en cauchemar. En attendant, retenez la leçon : prenez soin de vous et de vos amis

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