Si la nuit, tous les chats sont gris, il n’y a pas que notre amour pour la fête qui nous réunit dans l’obscurité. On a tous un détail stylistique qu’on veut unique et qui nous rend, bien au final, tous identiques. Dans le club aussi, la mode fait des victimes. Ce mois-ci, on se fascine, comme vous, pour le vintage. Ha, ce vêtement “vieux” qui rassure tant…
Quand je suis entrée dans le club j’ai clairement cru que j’avais traversé un portail spatio-temporel, qui m’avait menée directement à une autre époque… Mais laquelle ?
J’essayais de définir la période dans laquelle la fissure des tissus de l’espace temps m’avait extirpée mais en voyant des Vans et des bananes façon 90s d’un côté, des blousons en cuir, des teddy facon 60s, des pantalons pattes d’ef, et des mini frange 70s 80s de l’autre, je comprenais que je n’avais pas bougé, j’étais toujours bien en 2018, tout à côté de l’incohérence stylistique et de l’anachronisme de la soirée.
“Même si je porte des pompes conçues à une époque où internet n’existait pas encore, sans connexion constante avec le monde entier, j’arrête de vivre.”
Finalement, après trois verres d’eau, quelques mini bretzels secs et trop salés -ou-é j’avais faim, trois claques de ma copine paniquée devant ce qui aurait pu s’apparenter à un début de crise d’épilepsie… je remuai mon cerveau gauche -qui se repose en permanence sur le droit- et me mettait à faire le lien des fringues qui m’entouraient avec le mouvement de singularisation des individus, aujourd’hui dans la société, tout autour de nous.
Révélation ! Je regardai ma copine complètement obsédée par le mec qu’elle avait déjà embrassé deux fois, qui faisait semblant de m’écouter pour perfectionner le sublime rôle d’une fille très très occupée. Je commençais alors ma propagande et laissais défiler les théories. L’une d’elle me marque encore : celle des pièces de friperie, qui s’illustrent par leur unicité, en opposition à l’uniformité et la multiplicité de l’industrie de la mode. J’expliquais alors avec difficulté mais bien sûr avec conviction, à ma copine coincée dans une réalité alternative érotique, que la quête d’individualisation des gens obligeait à la singularité vestimentaire. Je lui répétais alors trois fois que le langage qui qualifie les vêtements du passé était aujourd’hui remplacé par la prise de conscience collective -trois fois parce qu’elle me répondait avec incohérence “qui ça ?”. Incompréhension. Elle avait toujours le regard fixé sur ce mec.
“Les smartphones ne sont que rarement remplacés par les portables à clapet, excepté pour les rares puristes nostalgiques qui n’ont que des “c’était mieux avant” à la bouche”
Quoiqu’il en soit, je continuais, démon intérieur bavard et têtu tout sorti : “Démodé et kitch sont aujourd’hui synonymes de vintage et rétro”. Ma copine “attends mais de quelle série tu me parles ? Black Mirror ?”. Incompréhension.
Je m’éloignais, loin d’elle, pour bavarder avec la barmaid. Je recommençais alors et partais en boucle sur le même délire, sans vraiment d’espoir de me faire réellement écouter. “Différenciation, bla bla bla, singularité, bla bla bla, individualisme… On ne jure plus que par ces quêtes, les tatouages témoignant eux aussi de cette même poursuite ! tu captes ?”. A ma grande surprise elle m’accompagna dans ma frénésie. Victoire ! (est mon prénom)
- “Mmmmh je vois ce que tu veux dire meuf, mais cette fascination pour le passé se limite à l’esthétisme j’crois. Il est troublant de voir dans les fêtes un anachronisme frappant entre les vêtements et les gadgets électroniques. Je te le dis, je suis dehors tous les soirs. On aime l’esthétique du passé, mais on garde le pratique et l’utilitaire du présent. Faut pas déconner. Les smartphones ne sont que rarement remplacés par les portables à clapet, excepté pour les rares puristes nostalgiques qui n’ont que des “c’était mieux avant” à la bouche.
- “Je suis d’accord y a un véritable contraste vintage/technologie, mais je ne pense pas que ça se réduise seulement à l’esthétique, c’est tout le système économique qui change notre façon de nous habiller. Les vague sociales et politiques se répercutent sur la mode. La mode découle de la philosophie générale d’une société. D’ailleurs c’est pour cette raison que les canons de beauté changent et évoluent au fil des siècles. Non, pour moi, la fascination pour le passé n’est pas limité à l’esthétique ! Y a un lien avec le mouvement écologique et le mouvement économique. Avec la crise et tout ce qui en a découlé, on ne veut plus dépenser notre argent, ou alors le dépenser mais de manière durable. Le vêtement “vieux” rassure, s’il est toujours en vie c’est qu’il est de bonne qualité, et s’il nous plaît encore malgré qu’il appartienne à une mode passé, c’est que c’est une valeur sûre.
- “Je suis d’accord avec le fait que, outre le côté singulier du vintage, l’accroissement écologique est un big facteur de développement de la consommation durable…
- “Et puis on respecte d’autant plus son achat quand il est possible de prolonger sur la durée, le cycle de vie des habits.
- “Et d’ailleurs quand on commence à…”
On a parlé pendant deux bonnes heures. Mais j’avais perdu mon téléphone alors on a du couper court, parce que j’étais au bord d’une nouvelle crise d’épilepsie. Et ou-é. Même si je porte des pompes conçues à une époque où internet n’existait pas encore, sans connexion constante avec le monde entier, j’arrête de vivre…