Si la nuit, tous les chats sont gris, il n’y a pas que notre amour pour la fête qui nous réunit dans l’obscurité. Notre amour du détail, aussi. Notre envie de style, aussi. Notre appétence à la tendance, surtout. La mode est l’épée du guerrier contre les conventions. La tendance unisexe en est l’arme parfaite.
Depuis quelque temps, garçons, filles et autres créatures de la nuit se sont fondus les uns dans les autres pour ne former qu’un fluide palpable, et s’aimer dans le club, sans limite, ni appréhension, ni complexe. Pas si complexe, l’unisexe, et consciente ou pas, c’est la tendance qui détonne.
Assise sur un canapé à La Capella, squat éphémère de fête autorisé par la mairie du 18ème, j’observe le look de Tom. Inconnu désormais familier, il écoute attentivement Ysé lui tirer les cartes, dans une ambiance street-grunge : « Nina !! La population underground a capté la connerie de nous foutre dans des cases par rapport à notre sexe ! Désormais c’est notre génération qui tient le guidon du velib’. On va être actif et imposer nos règles. Et quoi de plus symbolique dans l’inconscient collectif pour prédéterminer les sexes ? Les fringues ! J’te parle de la tendance vestimentaire unisexe qu’il y a ici, c’est le Cheval de Troie underground ! Ni vu ni connu les néo-fétards imposent leurs lois… t’entends Nina ??? »
“Ici la présence du sexe et du corps confirme le genre. Pas la peine de s’encombrer d’un uniforme sexuel.”
Vu la mimique absente de ma copine habillée en vert pomme à motif dragon, je comprends que l’engagement est plus ou moins conscient. A moins que ce soit elle qui soit plus ou moins consciente tout court vu le nombre d’aller/retour qu’elle a fait au bar. Néanmoins la mode unisexe est bien présente ce soir vu les looks de mes nouvelles relations éphémères.
Ysé au visage naturellement sensuel, confortablement vêtue, en noir et blanc, t-shirt ample, jean large, basket… une légère envie de dés-objétiser son corps, de le rendre pratique et utile plus qu’esthétique. Elle avait aussi gribouillé des traits sur ses joues façon militaire, avec de la peinture fluorescente, pour se camoufler (du regard aveugle des taupes). Et Tom les cheveux tressés, oxygénés de rose. Il a le corps paré de bijoux argentés ethniques sur chacun de ses membres capables de soutenir de la ferraille à moitié rouillée. Il est le témoignage qu’un garçon ne s’émascule pas même s’il cultive un goût pour la coquetterie, parfois poussée à son paroxysme. La fête underground est une bataille paisible, où les codes sont décapités par une guillotine en mousse. La mode est l’épée du guerrier contre les conventions.
La Capella, ancien supermarché sur-transformé en bar et lieu de culture, inspiration street art conjugué au surréalisme, et une touche de futurisme. Des lieux délabrés, maquillés de poésie. Un endroit où les filles s’inspirent des looks des garçons et les garçons des looks des filles. La fringue ici ne prédéfinit pas le genre, il n’est que langage muet, qui converse à la place de l’habillé, à travers les couleurs, ornements, breloques et peintures. Ces objets de mode dévoilent l’excentricité, le tempérament ou l’humeur du soir. Le look est une sacré pipelette, pleine de paillettes. Ici la présence du sexe et du corps choisis confirme le genre. Pas la peine de s’encombrer d’un uniforme sexuel.
Une idéologie, qui m’a valu un jugement hâtif le soir où je suis venue habillée de manière très conventionnelle, tendant vers le conservatisme vestimentaire. Un type me regardait et me souriait pendant toute une soirée, finalement il se rétracta en prétextant que je n’étais pas son style et je cite TROP FEMME… Derrière ce commentaire à l’allure sexiste qui m’a d’abord mise en colère “Mais Nina, est-ce que moi je lui reproche d’être TROP HOMME ? Il faut prendre exemple sur les hommes c’est ça ? Enfoir* !”. J’ai compris que la maladresse de la phrase sous-entendait une idée belle et en marge. Pour lui, je m’habillais tel que la société voulait qu’une femme soit vêtue et je ne représentais aucune ambition de changer les codes, aucun progressisme.
L’analyse était bonne mais il n’avait pas pris en compte que je sortais simplement du taff, j’étais stagiaire dans une grosse multinationale. Imaginez bien une copie conforme de ce qu’une entreprise veut qu’une femme soit dans le cadre du travail. Ce soir là j’étais loin d’être l’artiste qui utilise son corps comme support. J’étais dans le moule, j’obéissais aux règles d’une entreprise pleine de fric. Tout le contraire de ce qu’il dégageait lui.
La symbolique de chaque fringue a une répercussion sur celui qui le porte. Le choix de l’apparence du jour peut probablement changer les péripéties du soir. Et si ce soir là mon look avait été la combinaison de mes rêves et de mes fantasmes, alors peut-être que ce type qui portait un manteau en fausse fourrure -qui lui donnait l’allure de Ned Stark, gouverneur du Nord et seigneur de Winterfell- aurait fait l’effort d’aller au-delà du jeu de regard.