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Christine : « La culture s’uniformise, c’est dangereux et les gens sont de moins en moins curieux » – Heeboo

Christine : « La culture s’uniformise, c’est dangereux et les gens sont de moins en moins curieux »

Interview Nuit - Février 22, 2019

C’est comme marcher sur une planète dont on aurait souvent rêvé, pour la première fois. Investir un espace qu’on pense vierge, et dans le doute, peser son pas face à la probable explosion. Christine nous rappelle tout ce qu’on a pu aimer de la french touch dans ses meilleures années, et tout ce qui rend l’électronique poétique et tragique aujourd’hui : une contemplation lumineuse de notre obscurité à peine voilée. Christine, à ne surtout pas confondre avec Christine & the Queens, sort aujourd’hui vendredi 22 février, un deuxième album, Echoes From Dawn

En 2011, quand ils se lancent depuis leur ville natale de Rouen, Nicolas et Stéphane, démarrent leur moto de course sur la route des festivals, du Printemps de Bourges aux Transmusicales de Rennes. Le temps passe, les remix s’enchaînent (John Carpenter, Boys Noize), deux EP sortent, puis en 2015, on perd Stéphane sur le chemin du scratch pour trouver Martin, nouvel acolyte de Nicolas. Un premier album suit : Atom From Heart, plutôt kavinskyesque et dark-pop, entre légèreté et route nocturne. Puis Martin quitte l’embarcation. On aurait pu s’attendre à l’arrivé d’un Julien, d’un Antoine ou d’un Samy. Mais non.

Nicolas Lerille signe seul ce deuxième album, Echoes From Dawn, plus sombre et fasciné, comme un chemin de croix. Acide aussi, à l’image peut-être d’une génération acerbe, au bord du vide et en recherche de sensation. Echoes From Dawn c’est un peu comme découvrir le véritable coeur de Christine, obscure et tourmenté, un peu comme un océan couleur rouge sang. Avant de le retrouver vendredi 5 avril à Petit Bain pour Retro Synth Fury Springfest, rencontre !

Tu te souviens de ta première fête ?

Je me souviens du premier vrai concert ou je suis allé avec mes potes, c’était Matmatah qui jouait dans une sorte de grand gymnase à côté du Havre et on était comme des dingues, on avait 15 ans c’était en 1996.

Le truc qui a rendu cette nuit inoubliable ?

Les parents d’un des copains habitaient juste à côté du concert, ils n’étaient pas là pour le weekend, parfait, on dormait tous sur place. Un de nos potes métalleux jouait super bien de la guitare ; en fin de soirée, le gars se plante devant nous au milieu du salon, torse nu, cheveu long, avec sa guitare électrique et son ampli, il met le Black Album de Metallica à fond et nous joue tout l’album par-dessus le disque. C’était hallucinant, une vraie performance.

Le truc qui aurait pu tout gâcher à l’époque, mais en fait non ?

Le truc classique, les parents qui rentrent plus tôt et qui découvrent leur baraque retournée avec une vingtaine de kids écroulés dans tous les coins. Mais ils sont restés hyper cool, ils n’ont même pas vraiment traité leur fils. On a rangé un peu et on est tous repartis en ricanant sur nos mobylettes.

Tu écoutais quoi comme type de musique à l’époque ?

A 14-15 ans c’est le milieu des années 90, je découvrais Nirvana, Breeders, Foo Fighters, Red Hot Chili Peppers… et par extension Rolling Stones, Pink Floyd, Jimi Hendrix… Et forcément je commençais la guitare.

Tu as changé ta manière d’écouter de la musique depuis ces années là ?

J’ai grandi au Havre dans les années 90, c’était assez limité en termes de culture. Ça a beaucoup changé, mais à l’époque il y avait un disquaire en ville et la fête de la musique une fois par an.  Donc jusqu’à 18 ans, on trainait au Havre là où on pouvait et dès qu’on a commencé à avoir des voitures, j’ai pu vraiment bouger, aller en club à Paris, en festival aux quatre coin de la France. J’étais super motivé pour découvrir de nouvelles choses. La musique, on l’écoutait en CD ou cassette, on se faisait tourner nos CD’s pour faire découvrir des trucs cool aux copains. Un album CD c’était précieux, on en prenait soin, on l’écoutait plusieurs fois avec attention et après on se faisait nos compiles en cassette pour les soirées. Donc oui forcément j’ai changé ma manière d’écouter de la musique.

Ton premier dj set, tu t’en souviens bien ? 

Je n’y avais pas pensé depuis longtemps… J’avais 22 ans, j’étais en licence à Nancy, et je tombe sur un fly pour une petite compet’ de scratch vinyle dans un club. Je scratchais dans ma chambre depuis un an à peine, je me trouvais pas mauvais alors je me suis dit : « cool je vais m’inscrire ». Je prépare mon petit freestyle et je me pointe dans le petit club blindé avec mes disques, j’observe un peu et là je me prends une grosse claque, les mecs qui jouent sur scène ont des niveaux de cinglés et je comprends que c’est les qualifications pour les championnats de France et que je vais me faire laminer. Je me mortifie, mon créneau arrive,  j’ai l’impression d’aller à l’abattoir, j’hésite… mais non j’y vais.

Je fais mon truc les mains tremblantes à deux doigts de m’évanouir, je me foire évidemment mais je le fais. Je quitte la scène en baissant la tête sous quelques applaudissements. Je l’ai fait, je suis content en fait, je profite de la fin du show, je prends ma claque devant le gagnant, et j’ai même quelques gars qui me félicitent pour ma sélection musicale. C’était une première expérience fort enrichissante, je n’ai jamais refait de compet’ de scratch et j’ai attendu deux ou trois ans avant de remonter sur scène.

Le truc super important qui a changé chez toi depuis ? 

Je me connais mieux, je sais où je vais et je suis moins naïf. C’est important dans le business de la musique !

Comment il t’est venu ce nom Christine ? 

En 2010, j’ai voulu créer ce projet très référencé vieux films, avec une touche de féminité et nourri à la culture 80 et 90, je lisais Stephen King ado et j’adore le cinéma de Carpenter et sa musique, ça m’est tombé dessus comme une évidence.

T’as pas eu peur, à un moment, qu’on te confonde avec Christine and the Queens ?

Ce qui est drôle avec Christine and The Queens, c’est qu’on a commencé en même temps, on ne se connaissait pas du tout et on s’est retrouvés ensemble dans une session de travail en 2011 pour les Francofolies de La Rochelle. On était là pour travailler nos projets respectifs pendant une semaine, c’était très introspectif et il y avait beaucoup de remise en question. Et ça nous faisait plutôt rire d’avoir un nom de scène similaire.

D’ailleurs on t’a déjà pris pour une fille ? 

Et bien non, je pense que j’ai la voix trop grave et trop de poils pour ça.

On parle souvent de sexisme récurrent dans le monde de la musique, tu en penses quoi toi ? 

Etant un homme je n’y ai jamais été confronté et je n’en ai pas directement observé de sexisme, mais il y a beaucoup de témoignages concordants en ce sens, je suppose que pas mal de personnes se permettent des choses inacceptables…

Qu’est ce qu’on peut faire, en tant que mec, témoin de tout ça, pour contribuer à faire avancer les choses ?

Encore une fois, je n’en ai jamais été témoin direct mais si on assiste à ça il faut intervenir et ouvrir sa gueule. Personnellement je m’en fout du sexe des uns et des autres, il faut juste se serrer les coudes, il y a un esprit hyper individualiste dans l’art, c’est ce que je regrette le plus.

C’est quoi le truc qui te rend le plus heureux quand tu joues ?

Y’a des petits moments de grâce parfois, un vrai partage avec le public, tu es précis dans tes gestes, c’est fluide, et l’émotion avec les gens est intense. Il faut que le contexte soit parfait, le son, le lieu, le line up, le temps. Je regardais il y a peu de temps le Live Aid de Queen en 1985, j’imagine qu’on court après ces brefs moments toute sa carrière.

Tu as déjà eu des fails sur scène, mémorables ?

L’ordi qui crame en plein live, ça compte ?

Ta plus belle nuit sur scène en tant qu’artiste ?

Il y en a eu beaucoup, et pour différentes raisons, des lieux, des publics, des orgas aux petits oignons, et le meilleur reste encore à venir, je pars jouer à Bali dans deux mois.  Allez, je dirais jouer sur une scène dos à l’océan Indien pour le festival SAKIFO à La Réunion, le public était en délire, j’ai slamé pour la première fois et la scène a bien failli s’écrouler.

Pourquoi les gens font autant la fête aujourd’hui ?

Je suppose qu’on a tous besoin de se lâcher et de quitter le monde réel, écouter de la musique et danser sont de bonnes catharsis.

Tu as l’impression que les gens ont changé de façon de sortir ?

La culture s’uniformise, c’est dangereux et les gens sont de moins en moins curieux. J’ai vu des salles de 1000 personnes se vider après le show de leur artiste rap préféré et ne prêter aucun intérêt aux groupes qui jouaient après, c’est hyper triste.

C’est à nous de réinvestir nos salles, nos clubs et nos festivals. Les programmations de festivals sont toutes les mêmes, avant on faisait 500 bornes pour aller dans tel truc, voir tel groupe et découvrir les autres, je trouvais ça bien.

On entend pas mal qu’avant les gens faisaient la fête de façon politique, pour briser les codes, se libérer de certains carcans, et qu’aujourd’hui la fête ne peut plus être politique, tu en penses quoi ?

Avant il y avait certainement de plus gros mouvements culturels et revendicateurs, les hippies, les punks… Ca paraît plus compliqué aujourd’hui dans notre société consumériste, tout va trop vite, les gens consomment trop. Paradoxalement à ça, je ne sais pas si on peut parler de politique, mais on observe quand même certains mouvements positifs qui se développent de plus en plus, comme l’écologie au centre de certains événements,  la scène queer ou la mise en avant d’artistes locaux.

Tu t’es déjà dit “plus jamais”, après une fête ? Il s’est passé quoi ensuite ?

Oui comme tout le monde. Et ce qui s’est passé ensuite ? Une autre fête !

Tu souhaites quoi à nos gosses qui sortiront en club dans 20 ans ?

D’y aller en overboard plutôt qu’en Uber.

Adeline Journet

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