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SAMA : « Il n’y a pas vraiment de clubs à Ramallah, parce que la loi interdit de jouer de la musique après minuit » – Heeboo

SAMA : « Il n’y a pas vraiment de clubs à Ramallah, parce que la loi interdit de jouer de la musique après minuit »

La montée - Mars 15, 2018

Aurélie Mazoyer

Sama, ça m’a touché.e. Pas tous les jours qu’on croise à Paris, une dj palestinienne. Déjà pas simple de croiser des femmes derrière les platines. Alors quand elle nous vient d’un recoin du monde où la musique électronique n’est ni maîtresse ni très assumée, la surprise est encore… meilleure ! Sama, pionnière du mouvement techno en Palestine. Sama ça m’a touché.e.

Sama, on la découvrait à la Culottée, l’été dernier, à la Station-Gare des Mines. Humanité, chaleur, techno claire-obscure, énergie. Voilà ce qui nous avait marqués. Aujourd’hui en résidence parisienne, on retrouve la dj palestinienne samedi 17 mars à la Machine du Moulin Rouge pour la clôture club du festival Les Femmes s’en Mêlent x Barbi(e)turix. Une artiste à ne rater sous aucun prétexte.

Roddy Bow

Sama, simple question, mais comment t’en es venue à la musique ?

Sama : J’ai commencé à joué du piano quand j’avais quatre ans. Mon père raconte partout (mais je ne le crois qu’à moitié, mais ça c’est une autre histoire) que je n’avais que 9 ans quand j’ai demandé des platines DJ pour mon anniversaire. Quand j’y pense aujourd’hui, je pense que depuis mon plus jeune âge, j’ai détesté tout ce qui avait trait aux jouets classiques pour filles. Je préférais faire de la mécanique avec des cables, des fusibles, des trucs électroniques qu’en principe tu ne devrais pas laisser aux enfants pour jouer. Puis j’ai découvert le scratch à force de regarder des vieilles vidéos d’hip-hop old school, c’est toujours un truc que je veux apprendre, c’est sur ma « to-do » !

Y’a un truc que t’aimes en particulier et un truc que t’aimerais voir s’améliorer, chez toi, justement ?

C’est dur d’y répondre. C’est dur de parler de soi. Surtout sans avoir l’air prétentieuse ou sans prendre le risque de passer pour une folle. Mais j’imagine qu’à ce qu’on m’a dit, mon travail a un coté très narratif et que je raconte des histoires dans ma musique et mes sets (?) Je ne suis pas sûre de comprendre exactement ce que cela signifie mais j’aime l’idée. La musique est un processus de communication sans réel language, c’est un monde de sensations, c’est un échappatoire qu’on met à la disposition de celui qui écoute.

Il existe une scène club à Ramallah, d’où tu viens ?

Il n’y a pas vraiment de clubs à Ramallah, parce que la loi interdit de jouer de la musique après minuit. Puis la scène est vraiment toute petite. Cela dit, depuis quelque temps, émerge une scène underground électronique, elle évolue très rapidement, des groupes, des artistes jouent lors de fêtes secrètes dans les montagnes ou dans les champs, en dehors de la ville. Parfois les organisateurs louent même des terres à des bédouins pour y faire des rave parties.

Elle a quelle image la techno dans tout ça ?

Je suis la seule là-bas à jouer de la techno inspirée de la techno berlinoise. Et on ne me connait qu’à Ramallah, en ville quoi, pas dans le reste de la Palestine. Les autres djs jouent du dubstep, de la drum&bass, de la progressive, de la psyché, du hip-hop, du glitch, en l’adaptant à la musique locale. Dans ce coin du globe on ne produit que de la dub et du hip-hop.

C’est quoi la première réaction des gens en Europe quand tu leur dis que tu es dj et que tu viens de Palestine ?

« Quoi ?! Vous faites la fête en Palestine ?! Mais c’est autorisé ?! »

Tu as étudié au Royaume-Uni, puis tu as déménagé au Caire puis finalement en France, pourquoi ces choix ?

En fait j’ai un passeport jordanien (les familles de mes deux parents ont été expulsées pendant les conflits et ont obtenu le statut de réfugiés, je suis donc née en Jordanie, mais on est retournés en Palestine quand j’avais 4 ans);  quoiqu’il en soit, je ne suis autorisée à vivre que dans un nombre limité de pays. Le seul endroit où j’ai le droit de travailler c’est au Caire -où j’ai été sound designer (designer sonore, ndlr) pendant un temps- puis au Royaume-Uni c’était pour étudier, et ici à Paris, je suis en résidence d’artiste.

« Je porte une attention toute particulière aux bruits de la nature, de ce qui nous entoure, de notre environnement sonore, d’un battement de coeur à un vendeur pakistanais dans la rue »

Ha ok on comprend mieux, et tu retournes parfois en Palestine ?

J’y retourne oui, maximum deux fois par an, je m’assieds dans la cuisine de ma mère, on mange, on papote. Je conduis par-ci par-là, je passe le temps avec mes ami.es, je retourne au temps de l’adolescence ; puis je retourne faire un tour à des ateliers que je connais, j’organise des concerts, je travaille avec des enfants là-dessus.

J’imagine que ça te manque parfois non ?

Oui. C’est surtout ma famille qui me manque. Salut papa. Coucou maman !

Y’a des trucs qui ne te manquent pas du tout de la Palestine ?

Les murs ? Les soldats et les armes à feu ? Tu sais l’occupation fait partie intégrante de mes souvenirs d’enfant, de ma réalité et ça, ça ne me manque mais alors pas du tout !

C’est quoi ton inspiration principale pour faire de la musique du coup ?

Je viens d’études de design sonore, quand j’étais au Caire, je créais des paysages sonores pour des films. Du coup, instinctivement, je porte une attention toute particulière aux bruits de la nature, de ce qui nous entoure, de notre environnement sonore, d’un battement de coeur à un vendeur pakistanais dans la rue, en passant par le bruit des oiseaux que j’entends depuis ma fenêtre à la Cité des Arts, la pluie, les bruits de pas en bas… J’aime jouer avec ça dans mes sets.

Et quand tu ne fais pas de musique, tu fais quoi ?

Je m’occupe de mon entreprise, Awyav, la majeure partie du temps, puis quand je veux faire une pause, je regarde du foot à la télévision. J’étais dans l’équipe nationale de Palestine, quand j’étais plus jeune. Je suis une grande supportrice du Real Madrid. Désolée Paris. Mais Zidane avant tout !

Bon et pour finir, parce qu’on est des grands curieux chez heeboo, tu peux nous parler de quelques artistes palestiniens qu’on gagnerait à connaître en Europe ?

Oké alors c’est parti, je vais faire une liste. T’es prête ? Tu dois absolument connaître le Jazar Crew, c’est en gros le tout premier sound système palestinien. Ils sont là depuis la naissance de cette scène dont je te parlais, ce sont les premiers avec qui j’ai fait une soirée en Palestine. Des mecs incroyables, très actifs et qui font bouger les choses. Puis tu dois connaître Boikutt Muqata’a, Al Nather, Julmud, Nedj, Dakn, Haykal, Dar, Darbak, Bruno Cruz, Zannoubia, et ODDZ ce un bon ami à moi, je crois même qu’il est le futur de la scène club en Palestine.

Adeline Journet

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