Les Nuits Sauvages

« Sous le feu du soleil, je prends les conseils de la nuit. Et puis j’oublie. La nuit je mens. Et je fais la belle » – Heeboo

« Sous le feu du soleil, je prends les conseils de la nuit. Et puis j’oublie. La nuit je mens. Et je fais la belle »

Roman Internet - Comme un air de fête - Janvier 7, 2019

Rainer Torrado

Vivre, respirer et s’inspirer, c’est aussi ça la nuit : créer ce qui nous vient, quand il nous vient d’avoir envie de donner naissance, à autre chose qu’à son propre plaisir. Vous étiez nombreux à nous écrire pour obtenir la possibilité d’écrire ici. De récits en proses, nos yeux ont parcouru quelques merveilles. Focus sur l’une des premières.

D’une pépite à un coquillage abandonné dans une backroom, nous avons choisi pour commencer l’année 2019 de donner la parole à Henry Sloas, donct nous ne dévoilerons pas la véritable identité (sinon c’est triché). La nuit je mens, et je fais la belle est une nouvelle qui parle de vous, de nous. Lecture de son chapitre premier, illustré par un magnifique cliché de Rainer Torrado !

CHAP. 1 –

« Je n’ai jamais vraiment réfléchi au pourquoi du comment des nuits. Mais un peu plus fort au bord de l’aurore, j’ai baillé, une fois, et j’ai bien capté que j’ignorais tout. Le silence est d’or, le matin, quand je marche vers chez moi, et que je n’ai aucun remord. La nuit est longue. Et la lune a comme un air de fête. Je ne la vois plus mais je la sens. Comme un air de printemps. Qui prend son temps dans le jour. J’oublie, ce que je fais, ce que je mords, quand je dors et pour qui je brûle. Sous le feu du soleil, je prends les conseils de la nuit. Et puis j’oublie. La nuit je mens. Et je fais la belle. »

J’ai écrit ça sur une serviette de table. Plusieurs serviettes de table. Dans un bistrot vers Bastille où je traîne souvent sans savoir où je suis vraiment. « Rendez-vous là où tout tombe sur la tête », c’est ce que j’envoie à Camille depuis mon WeiWei à l’écran brisé depuis six mois. Huawei. HUA-WEI. Prononcé très fort, avec un accent qui rend fou. Camille répond pas. Encore en after. Je tente avec Diego. Qui est sans aucun doute aussi en after, mais lui répondra ; Diego, lui viendra, même si encore fonssfonss, on peut toujours compter sur Diego. Au nez, je dirais… qu’il est sorti de la Station vers 4h30, qu’il est parti chez les jumeaux Sansa à Pigalle, qu’il a pris, disons… trois traces entre 5 h et 7 h ; il a ensuite allumé Grind’r, il a tiré son coup vers Barbès, un rebeu, il adore les rebeus, et les clichés, il adore les clichés, les clichés, c’est sa vie. Vite fait, bien fait, ou pas, il a vu mon texto dans un kebab du Boulevard Barbès, en se rendant à un autre after, vers Jaurès, je me souviens jamais de la rue, et lui non plus, on sait juste qu’il faut sonner à « Pachaï », et il a juste répondu « ok boi ». Diego est assis comme un lion, le cheveu hirsute, en plein dans sa chute, sur sa chaise en en bois noir, reine au royaume des sens, il tangue un peu, mais se rattrape à la table, et personne ne le voit, sauf moi.

-« T’es pas sortie princesse ? T’aurais dû venir, c’était INCROYABLE… »

-« Nope. Un film et dodo. »

Silence gênant mais réconfortant. La lumière est trop jaune, je le vois à peine.

-« Ça va ? T’as une mine d’enfer »

-« Pas pire que la tienne bébé »

Une gorgée de café, un croc dans mon croissant, et je me lance.

-« Diego. »

-« Bébé ? »

-« J’y vois plus clair. »

-« On y voit rien y’a trop d’fumée »

-« Nan, c’est la lumière ».

Il se racle la gorge, se rattrape à la table, passe une main dans ses cheveux épais, pour se donner une contenance, clignote des yeux, se racle à nouveau la gorge. Fonssdé comme jamais. Ça sent la beuh, ça me prend au coeur, j’ai envie de fondre. Ou de disparaître. Les deux à la fois.

-« J’y vois plus rien. Je sais pas bien ce que je fais là. Je comprends plus tout ça. Pourquoi on fait ça. Pourquoi on s’abîme là, comme ça ».

Diego a presque l’air de réfléchir à ce qu’il va dire. Il sourit à moitié. Enfin je crois, ou c’est dans ma tête. Il se concentre sans doute pour pas vomir. Enfin c’est ce que je me dis, mais Diego vomit jamais. Alors peut-être que vraiment, il réfléchit.

-« Pour l’amour du risque ? »

-« L’adrénaline alors ? »

-« Oué, j’imagine. Tu t’es réveillé comme ça, en te posant ces questions là ? Drama drama queeeeeeeen ».

il se lève en hurlant, il esquisse un pas de danse un peu maladroit et me colle un baiser violent sur les lèvres.

Son cri est fort. Comme l’odeur de beuh. Ou c’est sa veste en daim ? Toute la salle se retourne vers nous. Enfin je crois. Ou peut-être que c’est juste dans ma tête. Je finis mon café. Demande l’addition. C’est pas bon le café, en fait. Je sais plus trop pourquoi j’en bois. C’est vrai, c’est absurde toutes ces questions. Il viendra crécher chez moi. Et avant de s’endormir, il va murmurer. Je ne comprends rien cette fois-ci. Diego murmure toujours avant de sombrer. Il pense que personne comprend. Mais moi j’entends. Je vois plus rien. Mais j’entends bien.

-« Adam, ta’dam »

C’est presque grandiose, murmuré comme ça d’un souffle, à la lumière du soleil qui baise le jour. Printemps. 28 mars 2017. Il est 9h02 à sa montre. Diego s’endort dans un souffle, et dans mon prénom.


Il est quasiment 14 h. Mon téléphone vibre. Non, c’est celui de Diego. Diego n’est pas dans le lit. Je jète un coup d’oeil à la cuisine. Pas dans la cuisine non plus. Je regarde l’écran. Camille. Je checke le mien. Cinq appels en absence. Camille. Je m’enfouis à nouveau dans les oreillers. Ha Came-Came, qui doit être en after, et regretter comme un nouveau né d’être arrivé jusqu’ici. Ça sent la cigarette froide, je tends le bras et frôle le Velux du bout des doigts. La fenêtre est gelée. J’ai froid, je tire la couverture. Je tire un voile sur le moment.

-« Diego ! »

Du fond du lit je soupire, presque amusé.

Aucune réponse. Le prénom rebondit dans l’habituelle solitude de ma chambre de bonne. Des questions existentielles viennent me titiller les orteils. Café ? Manger ? Clope ? Dentifrice ? On sort ce soir ?

Je prends mon téléphone. Camille. Appel. L’écran ne réagit pas. Je pousse le même cri, quarante fois par jour. Comme les trente-neuf fois qui vont suivre, je vais avoir envie de l’envoyer s’éclater contre un mur. Je respire un coup. Deux coups. Trois coups. Pas de téléphone sur le mur. Sur le mur plus de téléphone. Encore besoin d’un téléphone. Le téléphone est tout ce qui me raccroche à la vie. Il est bleu. Et il me fait me souvenir, souvent, que garçons, vraiment, je n’suis pas.

J’éteins, je rallume. Camille. Appel. Écran vert. Une petite voix qui décroche direct.

-« Bébé t’es où ? »

-« Au boulot ! »

-« Mytho, t’es chez toi, j’entends rien »

-« Oué, je les ai tous butés »

-« Genre. Non, bon, tu fais quoi ? On se voit ? »

-« J’sais pas, t’as dormi ? »

Silence. Bah non elle a pas dormi. Enfin si, hier, entre 14h et 22h. Puis elle est repartie au charbon. Le charmant charbon de la fête. Normal, c’était samedi. Et Camille déteste le dimanche plus que tout.

– « Ok Came-Came, j’arrive, t’es où ? »

– « Chez Titus »

– « On se re aux Folies non ? »

-« Je peux pas bouger »

-« K’ gurl, I’m coming for u »


Évidemment, chez Titus, c’est encore la fête. Ou déjà. Tout est une question de point de vue à cette heure-ci. Pas de repos pour les braves. Came-Came n’est pas très habillée. Je la sauve d’un reniflement de WC. Came-Came a l’air des mauvais jours. Je l’emmène dehors. Il fait froid, je lui en fiche une. Une petite. Elle renifle. Je n’sais pas bien si elle pleure ou si elle hurle et me déteste en silence.

Il y a encore deux mois, Chez Titus était un rade pourri où on payait notre pinte 3 euros avant de rejoindre les clubs en titubant. On se la collait, c’était doux, il y a deux mois j’avais encore 20 ans. Depuis, d’after en after, il a fallu d’une célébrité pour tout briser. Une teuf improvisée. Qui avait duré 34 heures non-stop. Même la police n’avait rien pu arrêter. Et Chez Titus était devenu légende. « Musée Des Générés » ornait désormais la devanture à coups de stabilo rose fluo. J’avais trouvé ça d’un goût incertain, quand tout le monde scandait à tue-tête que c’était juste « génial ». Qu’on les enferme.

Came-Came a l’air des mauvais jours. Et avec la bande son en arrière-plan, Nørus – Make A Move, ça donne un peu le tournis. Habituellement, je m’accroche aux lèvres de Camille pour danser, ou même respirer. Là, je flanche, comme un mauvais dimanche à la lumière trop jaune pour être réelle.

-« T’sais pas si y’a pas une pharmacie d’ouverte là quelque part » ?

-« Je sais pas bébé, c’est Barbès quoi, c’est dimanche ; pourquoi  ? »

– » J’ai p’tèt merdé, un peu »

-« Genre quoi ? »

-« Genre, j’aime pas les dimanches »

Pharmacie de garde. Boulevard barbès. Easy. On a marché qu’un peu. Mais Came-Came avait cet air qui rend malheureux. Juste à la regarder on devine la chute un peu trop planifiée. Princesse volubile dans ses besoins de tout casser, Came-Came fait du bien comme elle fait mal. Came-Came crache dans les bouches des connards, mais Came-Came en a jamais marre, de jamais rien faire comme il faudrait. Marque de fabrique. Came-Came est parti en couille y’a deux mois. Coïncidence fortuite. Je sauve Camille d’un reniflement de comptoir. On marche. Je la monte chez moi. Elle se hisse sur la mezzanine. Elle a le cheveu du dimanche 17h, flemmard, tombant, un peu collant. Blonde platine de l’infini, Came-Came est si belle en fait, que j’en perds l’équilibre souvent, rien que d’y penser. Elle me jète son regard jypeuxrien et je me mets à faire du café. Je check mon téléphone pour la 15e fois depuis une heure. Toujours aucune news de Diego. Ronflement sur ronflement, j’allume la cafetière, je ris en apercevant une mèche de cheveux pendre lestement depuis le lit et pose sur la platine un disque de C. Mockassin. C’est dimanche. Je flanche.

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