La rave party comme protestation et moyen d’expression ? Oui, mais ça c’était avant. Aujourd’hui, les rave parties s’organisent, se prévoient, se parent de mille artifices et tiennent plus d’une culture artistique ancrée et sociétale que d’un mouvement marginal propre à une époque. C’est ce que nous explique la réalisatrice russe Olga Darfy dans le troisième épisode d’un entretien un peu spécial.
Déjà trois ans, qu’elle travaille d’arrache-pied à la réalisation de Moi, Gagarine, dont la cagnotte de production solidaire se boucle dans 10 jours. A travers images d’archives, témoignages, anecdotes abracadabrantes, le documentaire raconte les premières raves parties russes, la chute de l’empire soviétique en Russie et la naissance d’une culture techno sauvage et révoltée… Sans nostalgie mégalo, Olga Darfy analyse l”hier pour expliquer l”aujourd’hui”, avec pragmatisme et vision : non, la techno n’est plus une musique de révolution. Mais à quoi sert-elle donc alors ? Comment la société russe s’émancipe-t-elle ? Comment la jeune russe se trouve-t-elle ? Et quelle place tient la fête dans sa construction ?
“Les raves peuvent être une forme de protestation, elles accumulent une énergie forte et sauvage, c’est comme un décollage vers le cosmos.”
Olga Darfy – “Je continue encore aujourd’hui de fréquenter régulièrement les raves parties. J’aime toujours danser alors quand j’en ai le temps je le fais. Après, il n’y en a plus autant qu’avant et elles sont… plus organisées et moins sauvages. Personne ne vend de façon ouverte du LSD puis tu ne rencontres plus les mêmes personnalités : fous, créatures, travestis, freaks, tout y est un peu ennuyeux et prévisible mais d’un autre côté les raves dont devenus plus belles dans leur organisation. Maintenant il y a de la vidéo, des vrais shows, un travail de lumière, des installations spécifiques et des performances d’artistes. La technique y est bien meilleure, tant au niveau du sound system que de la lumière. Puis il y a eu aussi l’apparition de clubs très cools installés dans des anciennes usines par exemple, dans un cadre incroyable et avec de la très bonne musique. J’y vais parfois faire un tour.
Il existe aujourd’hui une grande nostalgie de la liberté des année 90. Les raves peuvent être une forme de protestation, elles accumulent une énergie forte et sauvage, c’est comme un décollage vers le cosmos. Je pense que dans le futur tout cela va se renforcer, se développer, les gens de tous temps ont envie de voler, d’ouvrir les frontières et d’essayer ce qui est interdit.
Aujourd’hui, bien sûr, la musique électronique en elle-même n’est évidemment pas une musique de lutte et/ou de protestation, elle n’est plus quelque chose de nouveau ou d’inspirant comme cela était le cas dans les années 90. Elle est devenue quelque chose de commun comme l’est le jazz, qui lui aussi en son temps a été une musique de protestation. Il y a eu le rock, la musique classique et maintenant la techno. Comme dans n’importe quel style on voit plusieurs courants : une musique electro pop impossible à écouter, et une musique plus pointue, intéressante et forte. On aurait envie qu’il y ait quelque chose de nouveau, de révolutionnaire dans la musique d’aujourd’hui, je ne peux pas m’imaginer à quoi ça pourrait ressembler mais j’aimerais bien l’écouter ! Pour nous, dans les années 90, toutes ces découvertes étaient révolutionnaires parce que nous avons grandi dans le système fermé de l’Union soviétique, il y avait beaucoup de choses qu’on ne connaissait pas et quand les frontières se sont ouvertes, nous avons assimilé avec avidité toutes les nouveautés. Cela touchait à tout : musique, littérature, art, cinéma. Aujourd’hui les jeunes de 20 ans, partout dans le monde ou presque, ont accès à l’information, ils peuvent lire n’importe quel livre, visionner n’importe quel film, écouter n’importe quel morceau de musique et ça sans effort, en un clic. Ils n’ont pas besoin d’aller à l’autre bout de la ville pour trouver quoi que ce soit. Et c’est beaucoup mieux ! Mais il est possible que, saturés par cette sur-information, ils n’aient pas la même envie de nouveauté que celle que nous avons connue.
Ce qui est important aujourd’hui c’est la question du goût. Le plus grand danger c’est la “production débile” et non pertinente qui ne demande aucune réflexion, aucune interrogation, et n’apporte aucun sentiment. Quand j’y réfléchis, je me dis que ça a peut être toujours été comme ça. Il y a toujours eu des gens qui appréciaient les choses très/trop simples et passaient à côté de chef d’œuvres.
Aujourd’hui, contrairement à mon époque, la jeunesse en Russie possède plein de moyens pour se trouver. Tu n’as pas de talent particulier ? Tu peux travailler dans l’humanitaire, faire du volontariat et te sentir utile. Plus besoin de drogues, aujourd’hui on peut pratiquer les sports extrêmes, et explorer de façon infinie les nouvelles possibilités de l’organismes, puis jouer avec la mort. Dans le domaine de l’informatique, il y a aussi des choses révolutionnaires, qui peuvent aider à la résistance face au totalitarisme qui prend de l’ampleur dans pas mal de pays, et pas seulement en Russie.