Les Nuits Sauvages

Le Berghain pour les nazes #2 – Heeboo

Le Berghain pour les nazes #2

Le club pour les nazes - Avril 23, 2019

Pas toujours facile de mettre les pieds dans un club de légende. À Berlin on nous avait parlé d’un « petit club sympa » nommé Berghain, mais on avait clairement jamais essayé d’y mettre les pieds. Pourquoi ? Parce que trop peur de se voir refuser l’entrée, de lâcher un « allez là » dans la queue de trop bourré même sion dit jamais « allez là », puis de se confronter à Sven le colosse qui dit « oui », qui dit « non » et de se faire… littéralement dessus.

Plus qu’une simple boîte techno, le Berghain, c’est quand même l’institution techno à Berlin. Au Berghain, tu fais tout, tu tentes tout, tu changes de visage, ou retrouve celui que tu caches le restant de la semaine. Ce qu’il se passe au Berghain reste au Berghain. Amen.

© Michael Mayer

On avait donc envoyé, il y a un an et demi de cela, notre reporter Laure, dans l’antre du diable. Pauvre petite. La surprise avait été révélation. Et parce qu’on s’était toujours refusé à la tentative, on a décidé, au sortir de l’hiver, de se faire violence et de tester le Vatican de la religion Techno. Le Berghain. Et à 200 mètres du Saint-Graal, on en menait pas si large…

Lieu : Berghain

Ville : Berlin – pin pin

Date : Dimanche 14 avril (plus personne va au Berghain le samedi soir, si ?)

Pourquoi tu étais à Berlin à ce moment là ?

Un weekend organisé un peu à l’arrache, au dernier moment, sur un coup de tête, pour se faire du bien, prendre l’air, se mettre au vert, juste avant la folie de l’été. Berlin a ce truc un peu particulier qui calme les plus anxieux, mais seulement ceux qui n’y vivent pas. Berlin, pour les étrangers, c’est la vie. Surtout pour les français entravés dans leur stress quotidien. Mais Berlin pour les berlinois ou les trop gros fêtards fragiles qui s’y installent, c’est aussi le vice, le piège, la perte de soi, la possibilité du pire des néants. Sur ces quelques notes de joie, et de bonne humeur, revenons-en à nos moutons.

Nom de la soirée ?

Klubnacht. Comme tous les weekends au Berghain quoi ? J’avoue que c’était pas la prog rêvée, aucun gros nom qui m’excitait de dingue, mais on y est allé pour le folklore, l’expérience, le défi aussi. Le défi surtout, de ne pas se voir refuser l’entrée d’un des clubs les plus exigeants au monde. L’envie de se mesurer à Sven. Mais Sven était en vacs. Pas glop.

€ entrée ?

17 euros. Waï. Ça pique ! Ils ont quand même augmenté les bails de un euro en un an et demi. On a pas l’habitude de débourser autant pour rentrer en club à Paris, ou c’est peut-être personnel, mais j’ai une barrière à 14 balles. Que je franchis une fois par an pour LA grande occasion du moment, genre une soirée gabber au Trabendo en début d’année 2018, ou une soirée club/concert sacrée que je soutiens à balle. Mais pas une entrée de club à l’étrange. Aïe. Puis bizarrement, en allongeant la tune, on se dit que ça doit en valoir le coup. C’est le Berghain, hein.

© Nicola Napoli

€ drinks ?

C’est là qu’en bon parisiens on est super contents. La bière bouteille à 3,50 € c’est quand même un grand grand grand bonheur. Surtout pour boire de la bonne bière. La découverte de la journée ? Cette boisson pétillante au matcha mélangée à de la vodka. Du Biozisch. Malheur… et en bonne amatrice de maté j’ai adoré. Le summum de l’histoire ? La boule de glace à la banane consommée en hauteur de la salle noire et oppressante du Berghain. Oppressante, oui, j’ai dit « oppressante ». Mais l’oppression sonore, en club, ça fout la chair de poule, et c’est ça qu’on cherche ; tout en souhaitant, par moments, s’en isoler, pour savourer une boule de glace avec des étrangers, en se balançant sur une balançoire, dans une mise en scène des plus délicieusement absurdes.

Vous étiez où avant, vous faisiez quoi ?

On était chez Martin*, un artiste français qui vit là-bas depuis 12 ans, depuis 10 h 30, chancelant tendrement entre une fourchette d’oeuf à la coque, un verre de Prosecco à la goyave, une tasse de café, du pain bretzel, et quelques blagues de merde. Je pensais pas pouvoir tenir, en vrai j’suis pas une VRAIE grosse teuffeuse, surtout que je prends pas de drogue. Du coup, me lever à 8 h 30 un dimanche matin à Berlin et tenir toute la journée dans l’obscurité d’un club, me semblait quasiment impossible. Mais comme à mon habitude, il a suffi d’un peu de fumée, quelques jeux d’ombre sur des piliers en béton, des sourires d’inconnus gentils+mignons+tendres, et de grosses GROSSES basses (sans oublier le petit shot de vodka avant de partir) pour que je me prouve le contraire toute seule. SIC.

Signe particulier de la soirée ?

Ce qui m’a frappée, par rapport aux soirées en France, ce sont les meufs à poil. Et pas pour les raisons auxquelles on pensera (wink wink) mais pour le côté très libertaire et libéré de la chose. Pour l’aisance des mouvements, la peau dévoilée non sans pudeur, mais sans complexe. Pour les regards tenus, la force dans les mouvements, la finesse du tissu restant, jamais vulgaire, jamais de mauvais goût (bon, à quelques exceptions près, mais ça, ça vaut pour tous les genres). Pour le show, aussi. Surtout pour le show. On sent que ces meufs là sont des habituées. Une bise à droite, un sourire à gauche, une danse par-ci, une danse par-là. Ça flirte, ça se caresse, ça gigote, ça titille et qu’est ce que c’est bonne vibe de ne pas, pour une fois, avoir la boule au ventre pour elles ! Car même si certains collectifs ont cassé les codes de la nudité en soirée à Paris depuis quelques années, compliqué d’imaginer la même scène en France dans un club aussi gros et reconnu que le Berghain. J’imagine le Rex avec des gens à moitié à poil en harnais de cuir, et j’ai le visage qui se crispe. Soit. Pourquoi chercher ce que l’on trouve à Berlin si près de chez soi ? C’est peut-être aussi pour ça que l’on se déplace et que se déplacer est important ! Que Berlin reste à Berlin, et que l’on continue d’en savourer nos périples ! Mais si on pouvait trouver, dans nos clubs à nous, un tout petit peu plus de respect, pour les filles qui se déshabillent, ce serait pas de refus !

Pourquoi le Berghain ?

On va pas se mentir, je m’y étais toujours refusée. Pour plusieurs raisons. Déjà, le côté trop populaire de la chose, le Disneyland de la teuf pour darkos, l’aspect trop donné/facile d’une nuit au Berghain lors d’un weekend à Berlin… Ensuite, pour ce que les quelques copains installés là-bas m’avaient dit. Et d’un « Le Berghain ? non, bébé, jamais été« , à un « boh, j’y ai pas mis les pieds depuis au moins deux ans« , en passant par un « No Fucking WAY » super convainquant, j’avais longtemps hésité. Enfin, la peur de ne pas rentrer. Ou-ai, faut se l’avouer, on a tous peur de pas rentrer, non ? Tout ça pour dire qu’après trois visites à Berlin, je profitais d’un plan organisé à mes dépends pour dire « bon, d’accord ».

Ce que tu en savais, en avais entendu ?

Qu’on pouvait faire tout un tas de cochonneries dans les petits coins noirs. Que la musique était très forte. Que les gens étaient nus. Et que l’endroit était immense.

Première impression ?

L’église du diable. C’est un peu ce que je me suis dit en arrivant, puis en discutant avec un habitué vers 13 h, ça s’est confirmé. « Tu sais, les gens viennent ici comme à la messe, tous les dimanches, on se retrouve entre croyants« . Rire. Puis malaise quand il s’est mis à sauvagement draguer la personne qui m’accompagnait. Mais il était si beau, que je l’ai laissé faire. Puis je n’avais pas à m’en faire. Sourirer. Et malgré ses « Ce qui se passe au Berghain reste au Berghain, ferme les yeux, laisse toi pénétrer par la musique », j’ai gardé l’oeil ouvert et je me suis amusée de cette scène un peu cocasse. Ils sont fous ces berlinois !

Le gros bad de la journée ?

Pas forcément pendant, mais juste avant. Au moment où notre pote, avec lequel on avait décidé de couper le groupe en deux, s’exclame « FÜNF » (« cinq » en allemand, ndlr) à la barbe du physio. Glop. Petit moment d’hésitation. Le physio lui demande si on a tous déjà mis les pieds au Berghain. « Ja ja« . Mais je vois que l’instant flotte dangereusement. Prise d’un élan de (fausse) sincérité, j’explique que c’est la première fois de la personne qui m’accompagne. Il a l’air touché. Bouarf. Il nous fait signe de rentrer. C’était pas gagné. Petite victoire. L’impression de m’être débloquée, pour la 79e fois en trois jours, d’une mauvaise phase flippante de Tomb Raider. On se fait checker de partout, étrangement la personne qui s’apprête à me fouiller de la taille aux chevilles est un mec. Mini malaise. Mais il me demande « I can touch you ? ». Malaise bis, envie de rire, mais je me ravise, trop peur de me faire virer après cette mini frayeur passée, on se fait tripoter, vignetter les portables, et c’est tipar.

La perche de la journée ?

La sortie du Berghain, vers 18 h. Petite envie de profiter des dernières heures de lumière et des quelques rayons de soleil qui percent en ce fin de weekend tout gris. On se mêle au passant, on se fait des confessions d’after, on rigole, on sait plus trop où on est, ni même si on est, encore. Mais c’est tout tendre, l’impression d’avoir fumé quelques ter, on dort debout, mais ou-ai, le calme après la tempête, c’est tout doux. On croise un mec qui semble sorti d’un film italien des années 1970. Enfin t’excites pas trop, l’italien, l’épicier italien tout frêle qui a l’air tout le temps perdu t’sais, mais bon père de famille. Il nous demande si le Berghain c’est bien par là. On répond que oui. Et on se demande pendant cinq bonnes minutes si le gars va rentrer. On en conclut que « oui, il est tout seul, je suis sûre que ce type va rentrer », et on oublie.

Note musicale de la nuit ? 

On va pas s’extasier non plus, c’est là toute ma déception. Tout était très cool mais j’ai pas été RENVERSÉE comme je l’avais attendu. Parris Mitchell nous a un peu perdu, malgré la qualité de sa sélection. Mais quelques transitions ratées, et le Panorama bar prend un tout autre visage. Chapeau bas, néanmoins, pour son goût pour le risque assez prononcé, quand à 12 h 44, quelques minutes avant de rendre les platines, il tente un joli Get Get Down de Paul Johnson. Je n’aurais jamais, mais alors JAMAIS, pensé danser sur ce « track » qui s’apparente plus, pour moi, à un tube de ma pré-adolescence (1999), qu’à un « track » à jouer en club. Bizarrement, le Panorama bar s’émoustille en deux secondes, et mon humeur suit, c’est drôle, loufoque, et très très très kiffant.

Arrive l’américain Cooper Saver. Il a eu le don de, c’est le cas de le dire, « sauver », tout de même, la réputation du lieu. Set énervé, mais pas trop. Roulant, boulant, oscillant entre une dark disco à 122 bpm, de la wave un peu dure et des tubes qui font sursauter puis sauter dans tous les sens. De Boy Harsher, en passant par quelques tracks de new-wave américaine quasiment inconnus, jusqu’à l’un de mes morceaux préférés que je joue parfois mais que je n’avais jamais entendu personne jouer, le kiff est là, bien palpable, les volets fermés des grandes fenêtres du Panorama Bar s’ouvrent en grand lors des climax un peu intense. Chair de poule. Les gens crient. Hurlent. Se trémoussent, se tripotent, se plient dans tous les sens. De la sueur vole. Les bras se lancent, la lumière envahit 5 secondes l’assemblée, les bouches s’écartent, les corps se complètent avec aisance, respect, wahla c’est beau, les sourires sont si grands qu’on aimerait les croquer ! On se croirait un dimanche au Rosa, le système son et les harnais en cuir en plus. À l’étage du dessous on sent le sol qui tremble, la grande salle Berghain, elle, s’enfonce six pieds sous terre.

Petite visite. Marcus L s’est échappé. Super set. Adriana Lopez a pris le contrôle. Ravie de voir qu’une meuf joue. Je voulais pas la rater. Puis finalement, c’est pas ma came. Techno trop autoroute, pas assez de mélodie à mon goût. On mange une glace, je m’étonne de voir le bar à glace servir des cafés, je me dis que ce serait cool de pouvoir boire des boissons chaudes en club à Paris. Mais on en revient au débat du dessus. Si tout était Berlin à Paris, on irait plus à Berlin.

Le truc à y éviter ?

Prendre des trucs qu’on te propose, dans la queue des toilettes en mode « on en a trop pour nous, t’en veux avec nous ?« . Quitte à passer pour une putain de rabat-joie, je te dirais que c’est comme la paille. Tu gardes TA paille. Tu consommes TA drogue. Et tu bois pas dans les verres des gens que tu connais pas. C’était le moment prévention, sponsorisé par Les Nuits Sauvages.

Le truc à améliorer ?

Je vois pas trop. Hormis deux petites mini choses : les backrooms, dont on ne connait pas bien le degré d’inclusivité. Pour m’être fait rabrouer dans d’autres clubs à Berlin en mode « PAS DE FILLES DANS LES BACKROOMS« , je n’ai pas osé mettre les pieds dans celles du Berghain. Autre chose, le côté très « pd » slash « hétéro ». Où sont les queers ? Où sont les gouines ? À creuser.

On a bu quoi ?

Des bières, et du maté-vodka, mon truc préf et pas cher de Berlin.

Ça a fini comment ?

En une marche de plus de quatre kilomètres pour rentrer dans notre appartement du weekend. C’était magique. Une sieste et des efforts surhumains pour ressortir dîner un ramen incroyable – la tête dans la soupe.

Spotted ?

Une meuf qui dansait super super SUPER bizarrement mais qui ressemblait comme deux gouttes d’eau à Emily Haines, du groupe de musique canadien Metric. On a même fait des recherches en sortant pour savoir si elle était pas en tournée quelque part dans le coin.

Degrés de sauvagerie / déviance ?

Un bon 87 %. Une belle note pour l’authenticité de la fête folle et libérée, pour les toilettes également, transformées en cabines à taper dans la bonne humeur et l’ordre le plus général. Mais 13 % en moins pour le manque de poussière.

Pourcentage de bonheur ?

90 %. Une belle note, pour la culture de la fête berlinoise. Pas juste un atout touristique. Mais aussi et surtout une culture, un vrai savoir qui s’apprivoise, s’apprend, se transmet. T’as déjà vu une soirée dans heurts où les gens, à moitié nus, font la queue gentiment pour taper, sans un vigile pour venir les sortir, toutes les 5 minutes, de leur transe joyeuse ? C’est drôle le Berghain, c’est comme une soirée organisée par ceux même qui fêtent. À creuser. Puis ce qu’on aime aussi, c’est ce respect des choses, du passé et une envie palpable de préserver les générations de fête qui arrivent. Un héritage quoi. Un bien bel héritage que personne ne semble encore piétiner. La fête, à Berlin, est Histoire, et on le ressent, partout.

Dernière impression en partant ?

La lumière du jour, ça fait mal aux yeux.

On y retournera ? 

Tellement. Mais on se dit qu’on est bien là où on est, à regarder et analyser les nuits berlinoises de loin, parfois d’un peu plus près, on se dit qu’il est bon d’être chez soi et d’aller goûter au sel d’autres peaux, de continuer à assouvir ses fantasmes, de temps à autre, sans en faire une habitude ni même un nouvel habitat.

* Les noms ont été changés pour préserver l'anonymat des personnes.

Adeline Journet

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