Les Nuits Sauvages

Entente Nocturne : « Ce virus a mis tous nos projets en PLS, mais permet quand même une réflexion sur notre milieu, sur nos actions et nos manières de célébrer » – Heeboo
Maxime Guillemeau

Entente Nocturne : « Ce virus a mis tous nos projets en PLS, mais permet quand même une réflexion sur notre milieu, sur nos actions et nos manières de célébrer »

Septembre 9, 2020

Maxime Guillemeau

On l’attendait plus, la grande teuf des retrouvailles. Et pourtant, elle est là, bien là, derrière le masque du festival de musiques électroniques Entente Nocturne, qui aura lieu, oui oui, bien lieu, les 25 et 26 septembre prochain au Kilowatt. Aouhhhh ! Tu l’a sentie bien profond, la carotte nommée Covid-19, cet été à Paris -dans toute la France d’ailleurs- alors que les portes des clubs restaient fermées à double tour. Tu l’as attendue la réouverture, pendant des jours, des semaines, des mois. Les weekends sont passés, un à un, et rien ne venait, jamais. Aux infos, toujours la même rengaine, le flou artistique le plus total. Juillet. Septembre ? Puis t’as toléré quelques open air histoire de, d’avoir le goût de la teuf dans la bouche, au moins un peu. Puis t’as lâché les chiens et payé l’entrée de quelques raves pas super légales dans des hangars. T’en as profité pour te mettre au frais, à la campagne, t’as fait ta première free, mais évidemment, c’est la police qui a fait chier. Et c’était pas franchement « freed from desire ». T’as découvert l’amer supplice de te faire virer de soirée, en même temps que les orgas pour le coup. T’as pesté, t’as écrit des tas de statuts sur les réseaux pour cracher ta haine du gouvernement. Fêter pour toi c’est essentiel, voire vital. C’est ta baguette de pain, ton café quotidien, ta drogue même sans conso, et tu comprends pas trop qu’on te le redonne pas plus vite, ce putain de droit de fêter.

Dans ce flou artistique, certains orgas ont décidé de prendre un risque : celui de tout prévoir, dans les moindres détails, le couteau sous la gorge des chiffres qui tombent quotidiennement. Sortie de pandémie ? Nouvelle vague ? Personne ne sait trop, et c’est pas ton cousin Jeannot soudainement spécialiste en virologie qui va t’expliquer le déroulé de la suite des événements. On sait rien d’aujourd’hui, on sait rien de demain, et faut faire avec. Ou sans, sans la teuf ?

Non, Entente Nocturne a décidé de planter le décor de sa troisième édition, contre vents et marées. Prévoie donc un bon gros weekend de rentrée de teuf, les vendredi 25 et samedi 26 septembre, un ou deux masques dans la poche droite, du gel hydroalcolo dans la gauche, et doucement sur le bar, faudrait pas faire un pied de nez aux gestes barrières. Sécurité avant tout, pour toi, pour les autres, pour Louisahhh, Sonja Moonear, Varhat et tous les autres artistes de la programmation, la planète, tout ça quoi !

Dans tout ce flou, et dans le chômage technique de la teuf, on a posé quelques questions à quatre membres d’Entente Nocturne : Jean-Gabriel, Louis, Julien et Alex. Croise les doigts et prends ta place !

Entente Nocturne, pour toi, c’est arrivé comment ? Ça représente quoi dans ta vie ?

Jean Gabriel – La Quarantaine : C’est arrivé un bon matin sans prévenir et depuis ça me prend beaucoup de temps et d’énergie, mais ça m’apporte beaucoup de kiff ! C’est un des plus gros projets sur lequel j’ai pu bosser, et clairement un de ceux qui me tient le plus à coeur de par ses valeurs, grâce aux différentes personnes impliquées et à notre public de plus en plus fidèle.

Louis – ArtBeat : J’organisais ou je participais à l’organisation de soirée dans le milieu du Dub, de fil en aiguille j’ai rencontré les personnes qui avaient ce projet en tête et c’est comme ça que j’ai participé à la fondation du festival. C’est une assez grande fierté, professionnellement, d’avoir l’opportunité de co-piloter un festival de cet ampleur.

Julien – One One Six : C’est la concrétisation de plus de 10 ans d’activisme dans la musique alternative. Découvrir comment fonctionne ce milieu, toutes ses limites et se dire au bout d’un moment que l’on est peut-être pas obligé de subir tout ça et imaginer une autre voie où les différents acteurs pourraient bosser ensemble plutôt que de se tirer dans les pattes. 

Alex – Claquettes Chaussettes : Entente Nocturne c’est arrivé un peu par hasard, on était tous dans notre coin à organiser chacun nos événements et en se connaissant de loin et un jour on s’est tous réunis pour créer ensemble. De nôtre côté, on a tout de suite répondu présent, car c’était dans nos objectifs à long terme.

Comment on organise un festival en plein milieu d’une pandémie ? Vous avez mis en quoi en place pour que tout se passe bien ?

Jean Gabriel – La Quarantaine : Sans vouloir minimiser quoi que ce soit, est-on vraiment certain d’être “en plein milieu” de la pandémie, ou ne serait-on pas sur une phase de déclin, avec beaucoup de cas mais peu de malades, notamment chez les jeunes ? En tout cas c’est un nouveau challenge, pas forcément le plus drôle, mais c’est aussi ça l’événementiel : savoir rebondir, s’adapter et aller de l’avant !

Louis – ArtBeat : On sert les fesses, on fait pas trop les malins. On va essayer de répartir le public sur une surface assez grande. Puis vigilance sur le port du masque, des points sanitaires pour se laver les mains régulièrement.

Julien – One One Six : Déjà pour l’organiser il faut avoir une foi solide, rester focus sur son objectif de pouvoir re proposer des moments de fêtes dans ce contexte. Ce qui nous semble essentiel. Mais sans donner trop d’importances aux nouvelles qui d’un jour à l’autre te laissent à penser que ça va être OK et un autre jour que ça ne sera pas possible. Après on se rapproche des acteurs compétents. La préfecture, le Kilowatt qui nous accueille… Puis Technopol qui suit tout ça de près pour mettre en place le bon dispositif d’accueil. Certains cet été comme Border City ont démontré que l’on pouvait faire les choses très sérieusement et on s’en inspire. 

Alex – Claquettes Chaussettes : Nous avons tout d’abord baissé la jauge ; afin de garantir le bon déroulement de l’événement tout en rendant possible la distanciation sociale et les mesures sanitaires. Le port du masque sera bien sûr obligatoire sur toute la durée du festival. Ce qui est cocasse c’est que l’an dernier -comme à notre habitude à nos événements- nous avions distribué des masques au public pour coller avec notre nom « La Quarantaine » et créer une symbiose avec le public. Nous n’aurions jamais pensé être un jour rattrapés par notre nom. 

Si le festival doit être annulé, ça représente quoi pour vous concrètement ?

Jean Gabriel – La Quarantaine : Franchement, si le festival doit-être annulé, je me mettrai dans mon lit, dans le noir, sous ma couette et j’attendrai que la mort m’emporte. Non, en vrai ce serait particulièrement compliqué à tous les niveaux. Déjà pour le moral des troupes, on a essuyé des annulations pour des projets très ambitieux. Faire une teuf sur toute la rue Oberkampf, une soirée de 5000 personnes à la Cité de la Mode, des soirées dans des gros clubs… Donc là, plusieurs mois après, tous nos espoirs se concentrent vers notre festival, le seul, l’unique.

Louis – ArtBeat : Ce serait un vrai coup dur. Un festival n’est jamais rentable dès la première année, Entente Nocturne ne l’est pas encore. Il vit notamment au travers plusieurs petites soirées organisées tout au long de l’année qui n’ont pu pas avoir lieu cette année.

Julien – One One Six : Pour une majorité des collectifs organisateurs, nous sommes des bénévoles avec des activités à côté. Donc pour nous financièrement cela n’aura pas le même impact que pour tous les artistes et techniciens qui attendent avec impatience cette reprise des activités. Par contre, après toutes les désillusions que l’on a eu au printemps puis cette été, au bout d’un moment on se demandera forcément pourquoi on a encore la motive de bosser dans le vide comme ça éternellement. il faut bien se rendre compte qu’en début d’année nous avions bossé comme des oufs pour imaginer des projets de festival Off qui étaient totalement près à être lancés. Puis au printemps nous avons travaillé sur des potentielles activités pour l’été. Mais on a d arrêter à cause de l’incertitude, la frustration commence à être immense. 

Vous pensez quoi de la gestion du gouvernement de la pandémie par rapport au monde de la nuit ? Comment on survit à tout ça dans vos métiers ?

Jean Gabriel – La Quarantaine : Incompétence, mensonges, paradoxes, passe-droits, instabilité, manipulation, non-assistance à secteur en danger, moqueries… Je ne mets que des mots-clés parce que sinon ça va être long.
Et comment on survit quand on bosse dans l’événementiel ? On essaie de se débrouiller ; pour trouver du travail actuellement c’est compliqué, du coup on se le crée nous-même !

Louis ArtBeat : On peut penser que le secteur est délaissé ou sous-considéré, mais il est difficile de juger les décisions. Au final, ce n’est pas nous qui prenons la responsabilité de réunir des gens quand un virus dont on ne connait pas grand chose circule aussi rapidement. Ce sont les autorités, s’ils nous donnent l’autorisation.

Alex – Claquettes Chaussettes : Le terme est bien choisi, on « survit » et on subit la perte intégrale de tous nos revenus. C’est un très gros coup pour le moral… Surtout en voyant que les institutions n’ont pas l’air de vouloir faire grand chose pour nous aider et améliorer notre situation.

Un gros changement artistique à souligner pour cette édition ?

Jean Gabriel – La Quarantaine : L’arrivée de la Drum & Bass ! Et une programmation techno particulièrement musclée avec des gros guests : Louisahhh, Nico Moreno, [KRTM], et un autre gros guest, et aussi trois lives particuliers : techno & rap, techno & guitare électrique, et un live encore jamais joué sur scène, ça promet ! 

Louisahhh

Louis – Artbeat : Sinon, l’ADN du festival reste la même, éclectisme musical et joie de se retrouver pour faire la fête.

Julien – One One Six : On ne l’a pas fait exprès mais on aura pleins de femmes en têtes d’affiche. Non pas que je sois persuadé qu’elles proposent une musique différente de celle des hommes ; mais on nous l’avait fait remarquer l’année dernière. Sinon on accueille pour la première fois des collectifs de Drum&Bass cette année. Forver DNB et Dark Matter. Plus le retour du sound system Dub qui avait vraiment fait forte impression lors de la première année. 

Vous la voyez comment la suite des événements, pour le monde, pour vous, pour Entente Nocturne ?

Jean Gabriel – La Quarantaine : J’aimerais que le mouvement Entente Nocturne se propage à travers la France et l’Europe aussi vite que les virus des chauves-souris. Plus sérieusement, je pense qu’on va vivre une période compliquée. Mais il faut qu’on se sorte les doigts et qu’on repense la fête. Ce virus, même si Dieu sait qu’il a mis tous nos projets en PLS, nous permet quand même d’avoir une réflexion sur notre milieu. Sur nos actions, sur nos manières de célébrer… Du coup avec du recul on se dira peut-être que c’était un gros mal pour un petit bien.

Louis – ArtbEat : Inchallah ça va aller…..

Julien – One One Six : Pour le monde, le désert, pour Entente Nocturne, l’oasis.  Pour moi, un Naan Kebab à midi. 

Alex – Claquettes Chaussettes : Seul l’avenir nous le dira…. Entente Nocturne voulait réinventer la fête, je crois qu’aujourd’hui c’est au monde de la faire renaître.

Adeline Journet

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