Du post-rock dépressif à la musique de club boum-boum, il n’y avait qu’un pas, qu’un claquement d’aile pour Crame. Ou une envie ? Ce qui nous vient quand on pense à Arnaud, aka Crame, ce n’est pas la passion, mais l’envie. Et si pour certains la différence est soit péjorative soit trop minime, elle est pour nous essence de la nuit. Car l’envie mène là où l’on ne pense pas toujours arriver, l’envie pousse à la plus belle des ouvertures, l’envie pousse là où tout se crée, l’envie mène à tout ce qui palpite, et cette fois-ci pour de vrai.
Alors l’envie, oui, l’envie mais quelle envie ? Ce n’est pas n’importe laquelle qui habite la personne que Arnaud Crame est aujourd’hui dans la nuit. Connu pour sa bienveillance, sa discrétion sereine et sa rigueur, Crame est aussi connu pour son analyse, ses coups de coeur, son franc-parler, ses coups de gueule et ses coups de vie. Son authenticité, aussi, quoiqu’il arrive, et sa faculté à garder l’envie jusqu’au bout. L’envie de voir et de ressentir. De trouver, puis de retrouver. La personne, le regard, le sentiment, le souvenir. Crame fait partie de ces visages de la nuit qui brisent tous les clichés à la surface des stroboscopes.
Et clairement, le fondateur des Morts aux Jeunes du Pulp et co-créateur des célèbres House Of Moda, n’a pas l’intention d’arrêter de nous surprendre et de nous faire tomber amoureux. Avec son tout nouveau projet JJ tous les jeudis à la Java, Crame redonne vie à la nuit jovine à travers un rendez-vous-famille. Celui des figures emblématiques et fédératrices qui font bouger les dancefloors à Paris. Tous les jeudis, Crame donne carte blanche à un collectif parisien charismatique, pas pour la fame, pas pour les chiffres, mais pour l’art, l’amour de la nuit, et l’amour du « pour de vrai ». Il nous est donc apparu tout naturel de nous intéresser un peu plus à Crame, Arnaud, Arnaud Crame, acolyte de toujours (sept années paraissent des « toujours ») de Reno, derrière les masques, derrières les flashs, derrière les platines, mais genre… « pour de vrai ». Rencontre !
Ton prénom
Crame
Ton âge vs celui que tu prétends avoir ?
38 ans, c’est à dire 67 en années clubbing
Le premier truc que tu dis pour te présenter ?
Je suis DJ et je fais des soirées
Mais en “vrai” ?
“— Et tu arrives à en vivre ?
— Oui oui.
— C’est bien de pouvoir vivre de sa passion.”
Pourquoi ce prénom Crame ? Il date de quand et comment il t’est venu ?
Je m’appelle Arnaud. Quand j’étais jeune, mon amie Sophie disait qu’elle s’appelait Louise. Par mimétisme, j’ai dit que je m’appelais Camille. Je signais Came sur internet. Puis la canicule de 2003 arriva. J’avais très chaud sous le velux chez mes parents à Suicide-en-Brie. Came est devenu Crame. C’est resté.
C’est quoi ton lien à la nuit aujourd’hui ?
C’est mon taff, un taff étonnant où c’est autorisé de s’amuser, voire de boire de l’alcool.
Ta première soirée en club tu t’en souviens ?
En Angleterre pendant les étés de mon adolescence, j’allais dans des boîtes où c’était apparemment ok, voire la règle, d’être mineur, ça compte ?
Sinon, je me souviens d’une soirée dans une boîte parisienne rive gauche en genre juin 1999.
Vas-y raconte ?
J’avais dix-huit ans. Il s’agissait de fêter la fin de l’année scolaire avec quelques camarades de promo (première année de Sciences-po). Je les aimais bien et c’étaient des gens adorables mais il faut imaginer des étudiant-e-s pas super fun – mecs en chemises, meufs en robes chiantes – danser en cercle toute la nuit sans boire d’alcool ou très peu. Je pense que c’est un des moments de ma vie où j’ai senti que j’étais le mec le moins cool de la Terre.
Aujourd’hui, un samedi à 3 h du matin, habituellement, au mieux, on te trouve où ?
Au mieux, on me retrouve aux platines, à un moment où je prends confiance, où je m’autorise à danser un peu avant de m’occuper du prochain morceau. Des copains-copines dansent et font savoir que tout va bien. Un garçon me fixe dans les yeux en kiffant le son, je bombe le torse et je souris, persuadé qu’il est amoureux, mais c’est juste qu’il est perché mais je l’aime bien quand même. Parfois, ça finit en statut facebook trois jours après tellement le moment est bon.
Tu arrives au bar, tu commandes quoi direct ?
Vodka-coca le plus souvent mais je n’ai toujours pas trouvé mon identité alcoolique.
Le truc que tu ne commanderas JAMAIS ?
Une bouteille. En mode j’ai réservé une bouteille et une table vip. D’ailleurs je déteste ce mot “bouteille” dans le clubbing depuis que j’ai fait un rendez-vous avec un patron de club qui disait “bouteille” pour parler des clients. “Priorité aux bouteilles”, “c’est là qu’on installe les bouteilles”, ce genre de phrases.
Le truc que t’aurais jamais pensé commandé mais que finalement un jour t’as décidé de commander ?
Des cocktails à vingt boules quand j’étais résident au Silencio. C’était si bon.
Tu choisis comment les soirées où tu sors ?
Quand je ne sors pas pour des raisons professionnelles, je suis un suiveur total la plupart du temps. Je vais là où les gens que j’aime vont. Si c’est de la merde et qu’il y avait un-e DJ que j’adore ailleurs, je les juge. Mais je les suis quand même.
Ta plus belle nuit, qui restera gravée à jamais ?
Six histoires d’amour en douze heures. Toutes belles et qui se finissent bien (mais pas par beaucoup d’enfants).
Organiser des soirées, c’est venu comment, quand et pourquoi ?
Dans les années 2000, j’étais dans une bande d’ami-e-s dont certain-e-s aimaient la musique électronique et l’univers du club. Moi j’écoutais du post-rock dépressif et je rentrais avec l’avant-dernier RER mais bon, j’étais ouvert.
Une fois installé intra-muros, on a fait une soirée en appart avec mon coloc qui s’est appelée “Mort aux Jeunes”. C’est devenu un collectif de six personnes, et un projet de soirée régulière, “Mort aux jeunes”. On a démarché des bars de nuit avec une présentation reliée. Un an après, en 2005, la Mort aux Jeunes était programmée en résidence au Pulp, qui pour nous était vraiment l’alpha et l’omega du clubbing. Les choses se sont faites un peu à l’envers pour moi. Je ne suis pas devenu DJ après avoir diggé pendant des années et mixé dans ma chambre. Il fallait passer des CDs et c’est pour ça que je me suis intéressé à la musique de club. De la même façon, je ne suis pas devenu organisateur de soirée parce que le monde de la nuit m’avait toujours fait rêver. C’est quand je me suis mis à organiser des soirées que tout ceci a commencé à me fasciner.
La fête, ça tient quelle place dans ta vie ?
Celle du travail. Comme je suis désormais le programmateur des JJ, les jeudis à la Java, mais aussi dans l’équipe du (pardon), le tout nouveau bar de nuit éphémère que s’apprêtent à ouvrir Brain Magazine, Bonjour/Bonsoir et les Niçois, je ne suis pas sûr qu’il va y avoir un seul soir cette saison qui ne soit pas lié au taff.
Tu as l’impression qu’on fait de plus en plus la fête à Paris ou le contraire ?
Au milieu des années 2010, j’ai vraiment eu l’impression que l’ensemble des jeunes générations sortait, faisait la teuf toute la nuit sur des musiques boum-boum, que c’était devenu un truc vraiment massif. Mais là, je ne sais plus vraiment où on en est, j’ai du mal à analyser.
Pourquoi on reste pas chez soi au lieu d’aller se déchirer la gueule ?
J’aime bien cette phrase de Smalltown Boy, je la sors de son contexte mais pas tant que ça : “The answers you seek will never be found at home.”
On devient quelqu’un d’autre la nuit, ou on se révèle au monde ?
Dans nos soirées House of Moda, on est à fond sur ces concepts d’identité nocturne, qui débouchent en réalité sur des choses contradictoires : on peut être qui on veut, on peut être qui on est vraiment, on peut être quelqu’un d’autre si on veut… A la fin, t ki, en fait ?
Peut-être que c’est justement quand on n’a aucune foutue idée de qui on est que la nuit est si attractive. Ce qui correspond assez bien à la période où on entre dans l’âge adulte. Le jour, tout te pousse à te fixer. Et quand tu as l’impression que c’est bon, que tu as ta relation stable, que tu as ton CDI, que tu es accepté-e par à peu près tout le monde en tant que ce que tu affiches, tu cesses de sortir.
C’était l’instant psycho-philo de comptoir de club.
Tu vas en after ? Pourquoi on va en after d’ailleurs ?
C’est pas mon truc, les afters. J’aime bien rentrer chez moi après avoir fait quelque chose. Mon lit ne me fait pas peur, c’est mon endroit préf.
Ton plus grand fail en soirée, c’était quoi ? Le truc où tu t’es vraiment dit “ha oué, pluuuus jammaaiiiiss”.
J’ai déclenché une chenille, une fois. Je peux te dire que je n’étais pas fier.
Tu es de type qui chope ou qui se laisse choper ?
Alors je suis en couple, donc mollo quand même. Mais j’ai un côté prédateur. Je repère. Je m’approche. Je danse avec l’idée que la façon dont je danse va m’aider à séduire. Je suis frustré quand personne ne s’intéresse à moi.
Plus généralement, j’attache beaucoup d’importance à tout ce que je mets dans la case “romance” en soirée. J’ai la nostalgie d’histoires d’amour qui ont duré quelques heures sur un dancefloor. Mes parents se sont rencontrés en boîte de nuit. J’ai rencontré mon mec en soirée. C’est sérieux.
Le cul en soirée, on en dit quoi ? On pratique, on regarde ou on leur crache dessus ?
Ça fait partie de la “romance” exposée plus haut.
“Erotica, romance / I’d like to put you in a trance” Madonna, Erotica
Pourquoi peu de backrooms dans les soirées dites “hétéronormées” ?
Mais il n’y a pas beaucoup de backrooms dans les soirées club, même gay, si ?
Tu sors parfois, sans Crame ?
En vacances à Berlin, surtout, et encore.
Le remède qui soigne ta gdb du lendemain ?
Pas de remède. Comme pour mes rhumes ou mes conjonctivites, j’attends que ça passe.
Drogue dure ou drogue douce ?
Crame : En tant que professionnel d’une branche sous surveillance et fils de ma maman qui me stalke, je ne prends aucune drogue. Je conseille à tout le monde de s’arranger pour vivre vieux-vieille et pas trop détruit-e.
Ton track de la fête ?
MK – Burning (Original Vibe Mix)
Du lendemain de soirée ?
G.Rizo – Je me mentis
Quel type de teuffeur.se seras-tu dans 10 ans ?
Pareil que maintenant – j’ai passé le seuil du daron donc je peux continuer comme ça jusqu’à 70 ans au moins – mais avec un sommeil plus niqué.
Si tu as des gosses, tu les vois sortir comment dans 20 ans ?
Il y aura des zones de fête autorisée en marge des grandes villes, gérées par l’Etat et des partenaires privés. En dehors de ces zones, ce sera couvre-feu général à 22h.