La free, le hardcore, la boue, il en connaît un rayon. Dj, producteur, créateur de label, organisateur, aucune fonction n’a de secret pour lui. Aurel Hollowgram a connu toutes les évolutions du mouvement. De l’époque libertaire où la police ne pouvait pas grand chose à la teuf, à celle plus répressive post loi Mariani. Lucide, il constate la perte progressive en authenticité sans pour autant en faire une fatalité.
Quand tu dois te présenter à quelqu’un que tu ne connais pas au beau milieu de la nuit, c’est quoi la première chose que tu balances ?
« Salut ! Comment vas-tu ? Tu racontes quoi ? » … Bref, histoire de connaître le public et faire connaissance, simplement. Après je suis un peu asocial mais ça dépend des jours et de l’ambiance, si on est à se gueuler dessus pour s’échanger trois mots, ça va pas me plaire… Et puis ça n’est pas facile de parler à tout le monde, mais j’aime bien finalement.
Un track pour te présenter ?
Oui, mon premier disque chez le Diable au Corps (avec Nout qui me produisait et Zone 33 qui a fait la pochette). On a créé un sublabel nommé Aliens Records où j’ai sorti sept EPs.
Pourquoi avoir pris Aurel comme blaz ?
Alors là, c’est super simple, j’ai pris (comme on n’avait pas internet au tout début, ni ordinateur d’ailleurs) le nom d’Akoufen, mais je me suis vite rendu compte qu’il y en avait déjà pleins. Obligé de trouver un nom rapidos pour mon premier disque, j’ai dit au producteur « AureL Hollowgram » qui est simplement mon diminutif, et le blaz de notre collectif. Les amis m’appelaient comme ça… pas le temps de trouver mieux… voilà !
« Ma « première rave » était à Ibiza j’avais 10 ans en 1990 »
Tu te souviens de tes premières fêtes ?
Houla ! Alors ma « première rave » était à Ibiza, j’avais 10 ans en 1990 ! Ma « seconde première Rave » à 17 ans en 97 donc, je ne me souviens ni du nom ni d’autres choses en fait, car pour être franc la soirée, un peu arrosée avec un punch spécial (LSD), m’a fait partir dans des contrées psychédéliques toute la nuit. Mon attention ne s’est pas portée sur la zik au début pour être honnête, mais plus sur l’esprit de la fête : la liberté, la fraternité, voilà ce qui m’a accroché finalement. S’en suivront trois années de teufs tous les weekends…
Comment on faisait la fête par chez toi ?
La fête par chez moi ? En fait dans le mouvement au début en France, il y avait pas de « par chez moi » on faisait tous la fête en étant dans le même délire d’une région à l’autre, on bougeait d’une région à l’autre, on n’hésitait pas à faire 500 km pour aller à une soirée avec une info griffonnée sur un bout de papier, sans GPS, ni portables etc. Il y avait une vraie fraternité, chose oubliée depuis… à mon grand regret. Maintenant c’est limite s’ils ne se foutent pas sur la gueule entre crews. Dur en ce moment le mouvement… Je crois qu’il est à l’image de ce qu’on vit actuellement : ce n’est pas facile, tout s’accélère, et les choses perdent de leur sens. Il y a eu trop de changement et j’aurais du mal à comparer ce qu’à vécu notre génération avec ce qui se passe en 2018… Tout est connecté, c’est génial en un sens, mais je crois qu’on en a perdu un peu en authenticité. Après la teuf à le mérite de nous faire vivre « autre chose ».
C’était quoi le truc à l’époque, qui rendait ces fêtes inoubliables ?
Au risque de me répéter… C’est cette authenticité, qu’on retrouve d’une autre manière maintenant, je la perçois moins. Mais elle est toujours là !… Après, je ne vais pas mentir, la drogue a beaucoup contribué à l’époque à ce sentiment de cohésion, le fait d’être ensemble dans le même délire. Les sons ont grave aidé aussi, s’ils n’avaient pas été là, on serait sûrement adepte des clubs ou autres, à l’époque ça valait vraiment pas le coup de s’enfermer (de toutes manières il y avait pas d’évents comme à l’heure actuelle), il y avait mieux dehors ! Quoi qu’il en soit, oui on vivait le truc différemment.
On ne voyait pas de gros évènements légaux se faire en Gironde et il y en avait pas besoin, on avait Arakneed vers Bordeaux fin 90 par exemple, ils ont fait des fêtes inoubliables avec des lives de fou (Dsp, Carbonne 14 etc … pour l’exemple, mais il y en a eu tellement !). On écoutait Fky, Nonem (qui m’ont beaucoup influencé !), Manu le Malin (aussi), Micropoint, Joshua, Suburbass, Nout, Triphasé Hollyfuck… et plein d’autres que j’ai oublié, mais ça envoyait grave ! Il y avait les grosses scènes aussi, mais c’était aussi une époque où la répression était moindre, où on envoyait se faire foutre les flics chaque matin de teuf : ils n’avaient pas d’outils juridiques solides pour nous emmerder, donc on les invitait à boire le café, en leur disant « ça finira peut-être vers 18 h mais pas sûr…». Bref… Il y en a qui vont se marrer là ! C’est sûr. 😉
C’est à ce moment là que t’as commencé à jouer ?
Alors là, moi j’ai commencé par être public en 1997, puis l’organisation est venue en 2000 (??) et j’en suis venue finalement au live vers le début 2001. J’allais chez le disquaire et achetais des disques pour les avoir, le mix est arrivé bien plus tard pour moi. C’est parti d’une envie de créer, j’ai jamais su ce que j’allais faire dans ma vie jusqu’à poser le doigt sur un sampler.
Tes premiers amours musicaux ?
J’en ai cités plus haut, mais un live de Nonem (Angus : « 02 Love 7 » et « Cosmopolisation M31) nous (Hollowgram surtout Kick, Fiax et Moi qui produisions..) ont vachement influencés, Micropoint et leur album Neurophonie aussi et serait pour moi le meilleur album et live jamais fait (surtout à l’époque !). Il y a The Dj Producer, Hellfish, Matt des Fractales, qui nous a été source d’inspiration plus tard également… Des amours musicaux, j’en ai un plein bac de vinyles de ces artistes phares (et d’autres inconnus du public par leur nom mais pas par leurs morceaux) qui ont beaucoup compter pour moi, mais il y en a trop pour tous les citer !
C’est quoi ta dernière GROSSE GROSSE découverte en matière de musique ?
Mon coup de coeur en ce moment c’est toujours et encore Dj Producer, qui fait un son plus Frenchcore maintenant, et qui a su garder quand même son ADN d’avant. C’est un artiste tout simplement génial. Et un méchant dj ! Après il y a eu un gros mix de Matt de Fraktales qui m’a fait prendre la décision de faire de la zik ! (merci à lui !). Sinon en découverte, parmi les disques qui m’ont touché depuis le début il y a en vrac : Dj Japan, Zone 33, Pattern J, Tha Playah, Radium, Speed freak, Alcore, Bryan Fury, Dead Face, Androgyn Network, Tium etc ! Une bonne liste de mes influences, mixés vinyle à l’occasion..
« Je n’écoute plus un morceau comme je le faisais avant, je ne peux plus. »
Tu as changé ta manière d’écouter de la musique aujourd’hui que tu la joues ?
Oui malheureusement, je dis malheureusement car étant technicien maintenant on peut dire, je regarde beaucoup la technique, les morceaux, les harmonies… Je n’écoute plus un morceau comme je le faisais avant, je ne peux plus. Je pense que tous ceux qui produisent de la musique ont ce problème. Ça ne m’empêche pas de danser sur un bon mix, mais j’aurais cette perception de compositeur, et quoi qu’il arrive elle est là et ne se fait oublier que rarement… Mais ça m’arrive encore!
Ton premier dj-set, tu t’en souviens bien ?
Oui, j’étais avec Kick d’Hollowgram, on a joué chez Aganez en octobre 2003 sur un parking de plage sous la pluie, mais les gens étaient bien là, il y avait bien 500 personnes qui dansaient, on a joué plus de trois heures, c’était un moment inoubliable.
Tu te qualifierais de gros fêtard, hormis le fait que tu joues ? “Faire la fête”, ça veut dire quoi pour toi d’ailleurs ?
« Gros fêtard » je ne le suis plus. Pour moi faire la fête, c’est oublier un court instant le monde dans lequel on vit, partager avec des gens qu’on ne connaît pas forcément, écouter de la bonne musique… Pourquoi les gens font autant la fête aujourd’hui ? Parce qu’elle permet de se vider des pressions, oublier les problèmes, se détendre et/ou se défouler. Une petite phrase qui a tout son sens non ? (spéciale dédicace à notre gouvernement, qui a malheureusement pas compris notre mouvement…)
« Je reste pas bloqué sur le passé, je regarde plutôt vers l’avenir. »
Y’a un truc, de la façon qu’avaient les gens de faire la fête avant, qui te manque, ou que t’aimerais retrouver, une nostalgie particulière ?
Oui on peut dire qu’il y a une certaine nostalgie, ce qui me manque le plus, encore une fois serait la fraternité… Mais les choses évoluent… Je reste pas bloqué sur le passé, je regarde plutôt vers l’avenir.
Tu penses qu’on peut faire de la politique avec son son ? Et à contrario, tu penses qu’on peut faire du son sans que ce ne soit jamais politique ?
Alors là je laisse tout un chacun répondre à cette question ! Perso j’essaie d’inculquer des idées qu’on pourrait qualifier de politique dans mes lives, mais pas au point d’être une bannière pour tel ou tel parti, non ! Et oui sinon on peut faire du son apolitique, pas de soucis, mais cela implique superficialité et non-sens… C’est sûr on peut mais pourquoi ne pas profiter de ce moment pour faire passer quelques idées ? Politiques ou pas d’ailleurs ! Pour moi, c’est logique de faire passer des idées…
Y’a un côté militant dans ta musique, ou dans ta façon de faire la fête, un truc qui te tient à coeur et que tu défends même si pas toujours ouvertement ?
Ho ! La question piège… lol. Je laisse à chacun d’avoir son propre militantisme et je fais passer mes idées dans ma zique, cela ne veut pas dire qu’elles soient obligatoirement liées à la politique, même si on peut les qualifier ainsi si on cherche la ptite bête…
C’est quoi le truc super important qui a changé entre toi à tes débuts, et toi aujourd’hui ?
Des années en plus ! Peu de choses ont changé en fait si ce n’est que je joue plus dans des événements organisés qu’en teuf. Je réfléchis plus sur tout ça aussi peut-être, il y a le fait que je ne prends plus rien aussi donc je ne perçois plus les choses de la même manière… et peut-être un peu plus de maturité, mais finalement dans l’ensemble je reste le même… Enfin j’espère !
On y vient comment à la free party ? Qu’est ce qui fait qu’on passe du dancefloor aux champs ?
Moi je suis plutôt passé des champs aux dancefloors. La free fait partie de moi, elle est mon expression, mon espoir. Même si j’aime grave jouer en club maintenant car il y a plein de super soirées, je pense que je continuerais toujours à jouer en free… Il faut savoir donner des fois.
« Liberté égalité, fraternité, ça ne vous dit rien ? »
Tu les vois toujours aller en free les jeunes dans 20 ans ? Tu leur souhaites quoi d’ailleurs ?
Je leur souhaite de trouver leurs voies, si cette voie passe par aller en free, que ce soit ainsi. En tout cas j’espère qu’ils continueront à venir aux événements, que ce soit organisés ou bien free. Pour moi le hardcore is « a way of life ».
Les revendications politiques (ou autres) sont-elles toujours omniprésentes dans le mouvement ?
Oui. Liberté égalité, fraternité, ça ne vous dit rien ? C’est la base du mouvement free party, il faut être ouvert et se donner un sens à la vie. La politique? Franchement elle nous emmerde plus qu’autre chose en ce moment. Avoir des valeurs ne signifie pas forcément avoir le sens politique… Non ?
T’as ressenti une évolution du mouvement et des teuffeurs depuis que t’as intégré le milieu ?
Oui et non. Il y a des choses dans la free et le son qui évoluent, mais les principes restent les mêmes.
Raconte nous la tawa parfaite. Et t’as un avis sur la scène électronique hors free party ?
Ma tawa parfaite ? Comme en club je dirais, un bon line up, de bons artistes, une suite logique, une évolution, une bonne déco, et du bon mapping vidéo ! Ce doit être une alchimie de disciplines qui s’entrecroisent pour essayer d’approcher des moments parfaits où on est ailleurs, où on se défoule, où on oublie tout… Que ce soit en club ou en free, finalement tant que le son est bon et qu’il y a de bons musiciens si tout le monde fait bien son taf, ça se passe bien 😉