Les Nuits Sauvages

AN-I :  » Je veux pouvoir continuer de sortir en club la peur au ventre » – Heeboo

AN-I :  » Je veux pouvoir continuer de sortir en club la peur au ventre »

Interview Nuit - Juin 21, 2019

An-i ça veut tout et rien dire à la fois. De New York à Berlin, Doug Lee, des concerts de punk à Los Angeles aux raves illégales du désert californien, An-i, comme un voyage entre deux époques, et plusieurs systèmes de pensée. À la fois nihiliste et profondément politique dans les idées qu’il expose, effacé et profondément engageant dans l’imaginaire qu’il dégage, An-i est tout ce que la scène underground new-yorkaise pouvait envier à Berlin : une mise en retrait de l’humain pour la mise en lumière d’une musique bizarre, noire et tourmentée. On le connaît peu souvent à Paris, il sera à la Station-Gare des Mines samedi, pour l’after-show du défilé GAMUT.

Parce qu’An-i est l’artiste parfait à inviter pour un collectif où la famille s’est choisie toute seule. Chosen Family, visage festif du collectif de mode GAMUT, c’est la fête comme on l’imagine pas assez : sans les travers des jeux de la hype, sans l’apparence qui prend le dessus sur tout, sans l’image qui met la musique en arrière-plan. L’occasion pour nous de poser quelques questions à l’américain récemment posé à Berlin, malgré les barrières. Et malgré son souci de non-identité, malgré ses désirs d’anonymat, An-i se livre un chouillat, juste assez pour nous donner envie de le voir jouer son live dont on a tant entendu, samedi 22 juin à la Station-Gare des Mines. À J-1 de Chosen Family – GAMUT SS20 Aftershow, rencontre !

Il te vient d’où, ce nom, An-i ?

Il n’a pas de sens caché, c’est plutôt même le contraire, il ne fait aucun sens. Il doit être prononcé en anglais, afin que le « i » soit prononcé « aïe », plutôt que « i », comme beaucoup de gens le prononcent. Maintenant, l’une des lectures possibles de mon nom pourrait être « An I » en tant que Moi, An. Ou alors tu peux considérer que c’est un véritable « i », littéralement. D’une certaine manière, ce nom sert juste à perdre les gens, et les pousse peut-être à réfléchir au sens des choses, à regarder les lettres comme des formes abstraites. J’ai juste ajouté un « – » et un « i » pour que ça soit plus graphique, on dirait qu’il y a un sens à ça, mais en fait no, puis c’est juste un nom quoi, on s’en fout au fond.

Tu te souviens de te toute première teuf ?

Ma toute première expérience, c’était dans la scène punk et hardcore, au début des années 1990, à Los Angeles. Des trucs de punk classique, puis plus straight edge au lycée, c’était ce qui plus tard allait prendre le nom d’émo ou screamo. On utilisait pas ces noms à l’époque, mais cette scène était socialement très active et à taille humaine. On était une quinzaine de potes, on traversait le pays pour assister à des concerts, c’était plutôt cool et bien mieux que tout ce que le lycée avait à offrir.

« La musique que l’on jouait en club ne me branchait pas forcément trop, je n’aurais jamais pensé à l’époque devenir un jour dj »

Mais ce n’est que dans le milieu des années 1990, quand j’ai commencé à aller à la fac, que j’ai fait mes premières raves. Les meilleures c’était celle des pleines lunes, dans le désert californien, et bien évidemment, l’ecstasy était déjà en pleine implantation, à l’époque tout ça était vraiment magique. Ces fêtes étaient totalement illégales et il était très difficile d’y entrer, du coup, une fois là-bas, tu n’avais plus d’autre choix que de réellement t’amuser. Je crois que ce sont les meilleures expériences que j’ai pu avoir dans ma vie en tant que spectateur…

C’est quoi le truc qui t’avait marqué, de ces raves, à l’époque ?

Je crois que le fait qu’il n’y ait pas eu plus de problème ou d’accidents est un véritable miracle. Tout le monde était tellement barré… Mais je crois que ça tient au fait que les gens se sentaient très connectés et responsables de l’événement, tout le monde était très attentionné et respectueux les uns des autres finalement.


Tu écoutais quoi comme musique à l’époque ?

Je ne me souviens pas vraiment. J’ai écouté tout un tas de trucs dans ma vie, mais je crois que ce que j’ai toujours préféré ce sont les trucs difficiles d’accès, et même si je sortais en rave ou tous ces trucs là, ce que j’aimais c’était tomber sur des morceaux super bizarres et découvrir de la vieille musique, et c’est dans ça que je mettais tout mon argent ; c’était il y a très longtemps et la musique que l’on jouait en club ne me branchait pas forcément trop, je n’aurais jamais pensé à l’époque devenir un jour dj.

Tu as changé ta manière d’écouter de la musique maintenant que tu la joues ?

Oui, et je crois que c’est quelque chose d’inévitable. Si tu te mets à produire tu te mets à déconstruire tout ce que tu écoutes, et à ne plus les apprécier dans leur forme complète. Et quand tu deviens dj tu considères toujours l’aspect efficace ou non d’un track. Pour être honnête c’est quelque chose que je n’aime pas mais c’est comme ça, et c’est pour ça qu’il faut avancer et trouver de nouvelles façons d’avoir du plaisir dans la musique !

Il y a un club, des lieux, où tu aimes tout particulièrement jouer ?

Il existe de nombreux clubs très cools, de différentes tailles, dans différents endroits, et chacun d’entre eux peut connaître des nuits difficiles… ou parfois c’est toi qui es dans un sale état… Une bonne nuit, pour moi, dépend de vraiment tout un tas de choses, du coup je ne peux choisir d’endroit.

C’est quoi qui a changé chez toi, entre quand tu as commencé à jouer et maintenant ?

Je crois que j’accorde moins d’importance à ce que pensant les gens de moi, ou alors seulement sur ce que je sais déjà comme étant vrai. Pour moi la réussite dans tout ça, c’est d’être honnête avec moi même.


C’est quoi qui te rend heureux quand tu joues de la musique ? Tu as des rituels particuliers ?

Non je n’en ai pas, mais ce que j’aime, c’est de parvenir à tenter des choses, prendre des risques, sans jamais trop savoir si ça fonctionnera. Quand ça fonctionne, pour moi, c’est un véritable succès. Ce n’est pas tout le temps le cas, mais ça vaut toujours la peine d’essayer ! C’est pour cette sensation particulière que je fais ce que je fais.

Tu penses quoi de l’industrie de la musique aujourd’hui ?

Ce qui m’attriste aujourd’hui, c’est que tout doive absolument passer par l’apparence, soit via les réseaux sociaux, soit par la hype en général, et ça ne conduit qu’à une seule chose : la médiocrité, les gens deviennent de moins en moins aventureux, ils en deviennent totalement paranos, à propos de tout, de leur carrière, de leur image sur Internet…

Il n’y a pas beaucoup d’espoir dans ce monde, ce monde qui il est controlé par des connards

Tout doit se ressembler et sonner en fonction d’une esthétique formatée, sinon c’est catalogué comme marginal, rien d’autre. C’est des conneries tout ça, ça musèle la création artistique et ça rend la musique homogène. Maintenant, si on parle que de la nuit, je dirais que le fait que les événements soient de plus en plus safe pour tout le monde est une bonne chose, mais peut-être que ça manque parfois un peu de piquant sans une micro dose de risque et de danger ? Je veux pouvoir continuer de sortir en club la peur au ventre…

C’est pour ça que les gens sortent d’après toi, pour la peur ?

Ce que je pense c’est que les temps sont durs, et c’est ça qui pousse les gens à sortir et faire la fête. Il n’y a pas beaucoup d’espoir dans ce monde, ce monde qui est controlé par des connards. L’argent mène la danse, alors les gens ont besoin de s’évader de cette emprise, même si c’est juste le temps d’une nuit.

En Europe, pendant un temps, les fêtes étaient très engagées, politiquement. Tu crois que c’est quelque chose de fini ?

J’espère pas ! Les gens auront toujours besoin d’une bonne fête, celles qui sont illégales étant les meilleures. Moins il y a de règles, mieux c’est, et c’est quand une fête n’est pas créée pour faire de l’argent, les gens sont plus heureux et ça se ressent !

Tu as un aspect militant toi, dans ta façon de faire / voir la fête ?

Je crois que je n’ai pas envie d’appartenir à quoi que ce soit, je préfère rester en retrait à l’image de ma voix sur mes sons, je suis pour l’anti-image, anti-identité, anti-évocation, je ne veux pas participer à des conventions de développement personnel ou quoi que ce soit en rapport avec moi, et je considère que pour la musique c’est la même chose, quand il y a trop d’esthétique donnée ou qu’elle devient trop évocatrice… Tu peux aussi lire ça comme une position politique du coup. Agir sans prendre conscience de ces structures de pensée revient à subir cette esthétique et à ne pas chercher à aller au-delà.

Après je n’ai pas envie de passer non plus pour un rabat-joie, je fais de la musique pour danser, c’est que du fun, même si évidemment tu ne me verras jamais jouer à Ibiza…

Tu penses que les gens sortiront comment dans 20 ans ?

J’ai l’impression que le monde est en passe de devenir un club géant. D’ici 20 ans, on ne pourra plus y échapper, plus personne ne travaillera et tout le monde fera de la musique. Une certaine vision de l’enfer quoi.

Tu as un message à faire passer à la nuit ?

Non, mais un message pour moi-même. Celui de me taire, j’ai déjà trop parlé, plus qu’à mon habitude.

Why this name, An-I, where does it come from and when exactly did you choose it ?
An-i : The Name An-i is not meant to have any specific meaning,  so in a way it is intended to oppose meaning.  It should be pronounced in english..  so the I is pronounced like: ai’ rather then: ee’ as many people say..    That said, one of the possible readings could be: (an “I”) …  I as in me, like in “I am..” or “I do..”..  another reading is the literal letter “i” on the page you are reading it.. “i just wrote an i’ on this page…”  So in some ways it is just meant to confuse and maybe question what meaning is and look at the actual letters as abstract shapes..  ..  the “-“ and lowercase “ï” I added to make it look more graphic, it seems to have a meaning that they don’t …  Its just a name anyway… 


Do you remember your own first parties ?
An-i : My first experience in a Music Scene was the Punk and Hardcore scene in early 90’s in LA.  Classic Punk stuff and Straight Edge then in high school what would later be called Emo or Screamo.. we didn’t use those words then,  But this scene was very socially active and super DIY,  we were 15 or 16 making 7”s and traveling to different cities to go to shows.. it was quite cool and much better then what High School had to offer.  It wasn’t until my College years around mid 90’s I started to go to Raves usually the best ones were full moon parties in the California desert, of course ecstasy was taking a hold then in a big way, so that time it was all quite magical.   Those parties were always illegal and incredibly difficult to get to,  so you were very committed to having a good time if you made it.. So i guess those would be my most formidable experiences with dance music as spectator.  


What is the most important thing you remember from it ?
An-i : Its miracle that those things didn’t have more problems or accidents, as everyone was high losing their minds.. but because people felt more connected and responsible to the event they really looked out for eachother and were very respectful.  If i had to pick i think that would be what lasted from then..


What’s the main reason that made you go out at that time ?
An-i : Life in suburbs of California was shit.  Just getting out to go to a show or anything was welcome.

What was the type of music you were listening to at the moment you started to go out ? Where do your first vibrations come from ?
An-i : I don’t remember.. I listened to it all but I feel like I always had a ear for more difficult stuff and even if I was going to Raves or whatnot I was also more into finding weird records and discovering older music, so that was usually where my money went…  although that might be bullshit.. I honestly don’t remember.. this was a long time ago and I wasn’t so interested in the music being played at the parties, which was probably quite bad,  I didn’t have any aspirations to Dj at that time.. 

Did you change your way of listening to music since you play and produce it ?
An-i : Yes, I believe it is inevitable if you produce to pick apart tracks by there elements and not enjoy them as a whole and complete thing,  and as Dj to only pay attention to the functionality of tracks..  I don’t like that but this is just what happens and why you have to keep moving and finding a ways to be excited with music.

What’s the club / place where you like to play the most, and why? 
An-i : There are many great clubs of different sizes in different great places and they can all have shitty nights.. you can also be in a shitty mood..  A great night is dependent on so many opposing factors..  I honestly can’t say theres one place I like the most..

What’s the most important thing that changed about you, between your beginnings and now ?(especially about music, in general). And why ?
An-i : I don’t care as much about what people think of me, only what I know to be true.  So for me success is being honest with myself.  

What’s the thing that makes you happy when you play music ? What’s your ritual to get ready for a set ?
An-i : I don’t have a ritual but what satisfies me musically is being able to take things in new directions I am unsure will work until I try them and when they actually work I consider that a success set.  It’s not often but that’s for the most part why i do this.. 

Do you feel any disadvantages in the fact of belonging to the night and music industry world ?
An-i : What is unfortunate these days is that things seem to be solely validated by appearances,  whether in social media or whatever is the hyped online ,  this breeds mediocrity, people are less adventurous because they are paranoid about their careers or how they look on the internet.    Everything must look and sound apart of a codified aesthetic or it won’t be recognized by this machine of reception….  this is bullshit it dilutes the artistry and homogenizes the music.  As far as the night is concerned although I reckon its a good thing that events are becoming more safe for everyone it also more boring without an element of danger and intrigue.  I want to be scared when I walk in a club..

According to you, why do people need to go out / to party that much in 2019 ?
An-i : I think times are quite dark in general and that drives people out to party.  The world is not very hopeful and assholes are controlling it..  Money rules everything and people need to escape that even if its just for the night..

In Europe, for a moment, parties used to be very political. Do you think this time is over ? 
An-i : I hope not,  people will always need a good party, Illegal ones are usually the best.  The less rules the better, and if the community knows that an event is not created so much monetary profit the people are usually happier and seem to feel it.. 

Do you have a militancy in your way of being part of the nightlife ?
An-i : I don’t think I want to be apart of anything,  with my voice in music, my position is decidedly anti-image , anti-identity and anti-evocation,  I don’t want to adhere to conventions of like stardom or success or something, and that also applies to music which is more aesthetically effected or overly evocative.  This can be read as a political position as well; to operate without self-consciousness of these structures is to be effected by empty aesthetics with out statement or offering something different.  That said I don’t want to sound so serious about it,  I make dance music, it’s for fun..  but it’s likely you won’t see me playing in Ibiza..  


How do you think young people will go out in 20 years ?
An-i :  It seems like the world is becoming a giant club.  You won’t be able to escape it, no one will work and everyone will make music..   it sounds like hell.. .


Do you have a message for“the night” ?
An-i : I have a message to myself .. and that is to shut up. i already talked too much, more then I’m comfortable with… 


Adeline Journet

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