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Tommy Vaudecrane : « Maintenir la PEW pour penser ensemble à la manière dont nous pourrons danser demain » – Heeboo
Jacob Khrist

Tommy Vaudecrane : « Maintenir la PEW pour penser ensemble à la manière dont nous pourrons danser demain »

Culture Club - Septembre 23, 2020

Jacob Khrist

Arrêter de danser, le temps d’une pandémie, pour mieux danser demain ? C’est l’optimisme habituel de Tommy Vaudecrane qui parle ici. Dans le marasme actuel dans lequel vivotent les musiques électroniques, le président de Technopol – association à l’origine de la Techno Parade et de la Paris Electronic Week – souhaite garder espoir, et profiter de ce temps mort, pour se réunir et construire ensemble l’avenir de notre écosystème. Et, pourquoi pas ?

Cette année, pas de Techno Parade pour clôturer la Paris Electronic Week, cercle de conférences et de workshops autour des musiques électroniques, organisé à Paris depuis six ans, sous l’initiative de Technopol. Pour cause, une deuxième vague d’épidémie de coronavirus. Pas facile d’annuler l’un des événements les plus populaires de l’année chez les jeunes, et ce depuis 1998. Mais il était important de ne contribuer ni à l’accablement ni à l’affolement et de se poser deux minutes, ou simplement quelques jours, pour réfléchir à l’avenir des musiques électroniques et de leur scène club. C’est ce que nous explique Tommy Vaudecrane, président de Technopol et militant des premières heures, quand il défend le maintien d’un événement tel que la Paris Electronic Week 2020, les jeudi 24 et vendredi 25 septembre 2020 (diffusé néanmoins en streaming et dans son intégralité sur les réseaux) à la Gaîté Lyrique. Réunir les « activistes, acteurs publics, innovateurs  » et « visionnaires » de cet écosystème, même dans un quasi huit-clos, afin de proposer des alternatives d’avenir, est aujourd’hui essentiel. Rencontre.

Promouvoir la musique et les cultures électroniques auprès des pouvoirs publics en plein Covid-19, ça représente quoi, concrètement ?


Tommy Vaudecrane : Actuellement on parle plus de défense que de promotion des musiques électroniques. La situation est catastrophique pour tout le monde et on se bat donc pour la survie de notre écosystème. D’autant que les acteurs des musiques électroniques ont continué à tenter d’organiser leurs événements durant tout l’été. Certains ont pu le faire, d’autres ont subi des interdictions mettant en danger leur activité. Nous avons donc dû défendre de nombreux dossier auprès des DRAC, du Centre National de la Musique, du Ministère de la Culture. Cela nous a aussi permis de rappeler aux institutions l’importance des musiques électroniques au sein des musiques actuelles, qui sont actuellement les musiques les plus dynamiques, inventives et résistantes.

Nous représentons 40% de la musique française exportée dans le monde et nous sommes écoutés par plus de 30% des jeunes entre 18 et 35 ans. Nous demandons donc à être entendus et reconnus à la hauteur de ce que nous représentons au sein de la musique actuelle et de la culture en France. 


En plus de 20 ans, c’est seulement la 2e fois que la Techno Parade est annulée. Ça te donne quoi comme sentiment ? Sachant que d’autres rassemblements (Puy du Fou, Matchs de ligue, etc) sont maintenus ? Ça représente quoi pour le secteur de la musique électronique une telle annulation  ?


En effet ça a été une décision difficile à prendre. Mais la situation sanitaire étant instable et utilisée pour stigmatiser les jeunes, réunir 400.000 personnes dans les rues de Paris aurait été une aubaine pour ceux qui font la guerre à la jeunesse. Pour nous pointer du doigt en tant qu’irresponsables et inventer un méga cluster Techno Parade ; et le début d’une invasion de zombies…

À côté de cela quand tu vois les protocoles sanitaires du Puy du Fou, les queues interminables à l’entrée du Parc (que l’on ne montre pas dans les reportages TV), les gens debout dans les tribunes de certains stades ; quand tu vois les gens entassés les uns sur les autres dans le métro ou qui courent dans les couloirs bondés avec leurs masques humides de transpiration, tu ne vois pas grande différence avec un Open Air où les gens dansent masqués. Ces situations ne font qu’exacerber notre sentiment de solitude et renforcer notre incompréhension face à ce que l’on peut appeler des traitements de faveur… 


Comment vous avez choisi les acteurs de cette Paris Electronic Week cette année ? Pourquoi on maintient un tel événement alors que les jauges sont restreintes au max ?


Il est très important pour nous de maintenir cet événement malgré les jauges réduites. Il sera d’ailleurs retransmis en ligne et les billets sont gratuits pour ceux qui veulent se rendre à la Gaîté Lyrique. La PEW est un outil de réflexion, de networking et de prospective. Compte-tenu de la faible activité, c’est le moment de réfléchir ensemble à ce que l’on va faire demain. Mais aussi de permettre aux gens de se réunir et de réfléchir à notre survie et notre évolution.

« Nous avons fait la proposition de Zones Temporaires de la Fête »

C’est d’ailleurs pour cela que nous l’avons tournée autour de Danser Demain, le cycle lancé en mai dans le but de réfléchir avec plein de gens d’horizons différents, à la manière dont nous souhaitons voir évoluer l’écosystème des musiques électroniques dans les prochaines années. C’est ainsi que nous avons choisi nos intervenants : activistes, acteurs publics, innovateurs, visionnaires, etc. Pour penser ensemble à la manière dont nous pourrons danser demain. On invite tout le monde à participer. Suite à la PEW et Danser Demain nous allons produire une sorte de Livre Blanc. Il contiendra les grandes orientations recueillies à travers les interventions des speakers ; mais aussi des retours du public et des acteurs des musiques électroniques. Il sera remis aux institutions et partagé avec l’ensemble des acteurs de la scène qui seront en phase avec ces idées. 


Toi tu fais partie des acteurs du monde de la nuit qui préconisent l’interdiction de tous les events, en particuliers ceux plus « débrouille » voire « illégaux » ? Ou tu penses qu’on doit continuer de fêter quitte à prendre des risques Covid pas très compilant ?


Depuis plus de 25 ans il y a toujours eu des événements de tous types et notamment des spontanés ; d’ailleurs quasiment tous les événements électroniques étaient illégaux ou indésirables jusqu’en 1998. Ces fêtes spontanées depuis la fin du confinement ont été de véritables soupapes ; elles ont été vitales pour tout le monde. Sans elles, il y aurait certainement eu d’autres problèmes (isolement, dépression, etc). Elles ont aussi permis aux artistes de jouer et ça aussi c’est super important. Cependant, nous sommes face à une pandémie. Il est donc important de prendre un minimum de mesures sanitaires pour protéger le public et surtout leurs proches plus vulnérables.

Nous pensons aussi que des solutions doivent être mises en place très rapidement pour permettre aux professionnels de travailler. Nous avons notamment fait la proposition de Zones Temporaires de la Fête. Celles-ci permettraient aux professionnels (clubs, événements, festivals) de reprendre une activité dans des lieux validés par les autorités d’un point de vue sanitaire et dont l’utilisation ne serait pas soumise au bon vouloir aléatoire d’une préfecture. Cela permettrait par exemple de faire du club hors les murs le temps qu’ils puissent de nouveau accueillir du public. Cette proposition semble être une solution viable puisque les institutions et certains syndicats s’en inspirent. L’équilibre est indispensable pour ne pas créer une opposition entre fêtes spontanées et acteurs professionnels ; comme certains tentent de le faire en criant à l’injustice, voire en dénonçant certains événements jugés illégaux. Nous avons besoin d’unité en ces temps difficiles. Et donc des solutions pour tous les acteurs des musiques électroniques doivent être trouvées.   

 La suite, tu la vois comment ? Pour la scène des cultures électroniques ? Sur un plan plus personnel, pour le monde en général ?


J’attends le prochain discours de Véran hahaha… Je suis de nature positive donc je me dis que dans tout ce chaos de belles choses vont émerger. En Chinois, le mot crise se dit Wei Ji, Wei voulant dire « risque » et Ji « opportunité ». Je pense donc que cette crise va créer de nouvelles opportunités pour transformer positivement et durablement notre écosystème. Nous allons vivre encore des moments difficiles : à l’heure où je te parle La Toilette et Myst se sont fait saisir le matériel de leur events par la Police). Mais ce n’est qu’en étant unis et déterminés que nous tiendrons le choc et en sortirons plus forts. Je pense la même chose d’un point de vue personnel ; et je tente de ne pas trop regarder les vidéos et autres prises de positions alarmistes et négatives qu’on nous sert à longueur de journée sur facebook et les chaînes d’infos. Si on cherche un peu ailleurs, on se rend compte de pleins de belles initiatives qui sont en train de se créer. Et c’est dans cette direction que j’ai envie de regarder !

Adeline Journet

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