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Sara Zinger : « Ma musique, c’est ma passion, mon métier, ma béquille et mon psy en même temps » – Heeboo

Sara Zinger : « Ma musique, c’est ma passion, mon métier, ma béquille et mon psy en même temps »

Interview Nuit - Février 9, 2018

Sara Zinger s’inscrit en décalé. Dans la lignée des grands, mais sans suivre les tendances qui s’automatisent. Sara Zinger suit son chemin, sans se préoccuper du reste, mais avec toujours un oeil, intelligent, drôle et malin, sur ce qui l’entoure. Sara Zinger, c’est la meuf qui réussit à faire naître le feu dans tes reins, avec un dj-set à 120 bpm. Et ce n’est, aujourd’hui, pas monnaie courante dans les clubs. La preuve en sera, dimanche 11 février, à l’occasion de Barbi(e)turix x Balajo.

Sara Zinger, cosmopolite et d’une simplicité déconcertante, coche toutes les cases, enchaîne les bons points, mais continue de faire des doigts là où il le faut. On aime sa franchise, les vibes chaloupées, sexy voire s*xuelles, de ses prods. On aime l’énergie, la force tranquille, la noirceur et l’humilité, la puissance, mais toujours dans la retenue… aka le pouvoir des plus grands, non ? On la retrouve dimanche pour Barbi(e)turix x Balajo #2, au côté de Fishbach, Teki Latex et du Barbi(e)turix dj crew pour une après-midi/soirée italo-disco de tous les feux. Feu !

Quand tu dois te présenter à quelqu’un que tu ne connais pas au beau milieu de la nuit, c’est quoi la première chose que tu dis ?

Parler en boite ça me gave, parler aux gens que je ne connais pas en soirée aussi, alors je dirais sûrement « salut » avec un joli sourire sincère mais ça n’ira pas plus loin et je retournerai me blottir dans les bras de mes potes, dans ma bulle.

Pourquoi “Sara Zinger”, il est venu quand et comment ce nom ?

J’ai jamais voulu mettre mon vrai nom sur les réseaux . Sur MySpace c’était Zippy, quand est arrivé Facebook c’était « Zip Unzip « (paroles issues du track Technologic des Daft Punk, ça m’a toujours fait délirer ce passage dans le morceau). Et puis un jour, à mon retour d’Australie, sûrement par acquisition d’une certaine maturité, le bien mignon Zip Unzip a sauté, il me fallait un truc plus crédible. Sara est mon 2e prénom et c’est également le prénom de ma cousine que j’adore ; « Zinger » était marqué au dos d’une planche de skate que j’avais récupérée, oubliée par quelqu’un chez Franprix -une planche de marque ZIP ZINGER- Sara Zinger semblait donc le parfait combo. Puis quand j’ai commencé à avoir des dates on taguait mon Facebook pour la com, par la force des choses Sara Zinger s’est imposé comme mon pseudonyme musical, ce n’était pas prémédité.

Tu viens d’où ?

Je viens de partout.

Tu te souviens de tes premières fêtes ?

Si on remonte à ma vie antérieure j’étais sûrement londonienne. Dans celle-ci, moins de bol je suis née à Dunkerque, ce qui m’a néanmoins amenée à m’installer à Lille après le bac et à côtoyer les énormes boites House de Belgique dont l’H20 et le ZOO. Fat introduction dans le milieu de la nuit, tu arrives de ton bled et tu te retrouves baigné dans un monde extravagant de fêtards déjantés, je ne me souviens plus si les clubs fermaient à 7 h ou à 8 h mais en tous cas on faisait la fermeture tous les week-end. Dès le départ les dj ont attiré mon attention.

C’était quoi le truc à l’époque, qui rendait ces fêtes inoubliables ?

A l’H20, Chris le résidant de la “main room” avait des morceaux phare, les hymnes du club en quelque sorte ; aux premières notes tout le monde devenait hystérique, c’était la course aux podiums pour avoir sa place dessus pendant le morceau, les bras en l’air en s’égosillant sur les paroles, sourire aux lèvres, j’ai jamais retrouvé cette folie et cet engouement autre part. On vivait une période de notre vie incroyable et on en était conscients. Et puis malgré l’énorme capacité de la salle on était tous des habitués, on se retrouvait tous, tous les week-ends, je me souviens le samedi avec un pote on traînait a Euralille, le centre-commercial du centre-ville, attendant de tomber sur quelqu’un susceptible d’avoir une place pour nous dans la voiture le soir même pour aller au club H20 ; et on trouvait toujours ! Il y avait même un code vestimentaire. Les gens qui allaient à l’H20 tu les reconnaissais tout de suite dans la rue. C’était tellement dingue quand j’y repense.

« Ce qui a changé depuis mon époque c’est l’âge auquel on commence à sortir et à côtoyer tous les vices qui vont avec »

C’est à ce moment là que t’as commencé à jouer ?

Pas tout à fait, à cette époque j’étais étudiante en droit, j’avais pas une tune (400 euros de budget par mois dont 150 euros de loyer à payer). Budget Lidl par semaine : 8 euro. Tout était calculé au centime près alors acheter des platines était inconcevable, j’étais déjà bien heureuse de m’être offert un Mpman (baladeur numérique, ndlr) d’occasion chez Cash Converter. J’avais un vieil ordi portable à l’écran à moitié noir, avec un logiciel de platines virtuelles qui devait être Virtual Dj je pense ; il n’y avait même pas encore tous ces contrôleurs ni même Tracktor à l’époque. Je bidouillais avec ça juste pour m’amuser à la maison. L’achat des premières platines est venu bien plus tard, à mes 23 ans, une fois installée à Marseille en consolation d’un chagrin d’amour.

Denis Svartz

Tes premiers amours musicaux, ils sont venus comment ?

Haha allez c’est parti : j’étais une grosse grosse fan des 2be3 et des All Saints ; les All saints je les ai d’ailleurs vues en concert à Londres à deux reprises l’année dernière. Je suis restée fidèle à ces artistes qui ont bercé mon adolescence. A la même époque, les disques qui tournaient dans mon poste radio K7 Philips jaune, c’était les Beatles, Oasis en boucle de chez boucle et Jamiroquai. Ma sœur, plus âgée que moi, écoutait de la New Wave dans la chambre qu’on partageait, je pense qu’elle a fait entrer ces influences en moi à coup de marteau et qu’on le ressent bien dans mes sets et mes compos d’aujourd’hui.

Tu as changé ta manière d’écouter de la musique aujourd’hui que tu la joues ?

Complètement, surtout depuis que je compose. Etre dj et être compositeur c’est totalement différent. Je ne peux pas m’empêcher de faire le CV des morceaux dans ma tête, analyser quel synthé a été utilisé, quels effets sur la voix etc ; c’est dommage parce que c’est une manière moins naïve et moins sensorielle de recevoir la musique mais d’un autre coté, ça me permet de respecter plus le travail sur des genres musicaux qui ne me touchent pas de base, d’ouvrir mon esprit et de saluer le talent de chacun.

Ton premier dj-set, tu t’en souviens bien ?

Yes c’était dans un appart a Marseille il y a peut être 9 ans. Rebecca, que j’avais rencontrée dans un bar quelques semaines avant, organisait une soirée chez elle, pas le genre de petite bouffe entre potes mais une grosse soirée limite officielle dont tout le vieux port connaissait l’existence. Elle m’a demandé de poser mes platines et d’y jouer, j’étais stressée total, c’était horrible comme cette sensation, dans ces moments là, t’as envie de mourir, de te cacher dans un trou, de partir en courant. Au final j’ai joué sept heures non stop et j’ai assuré, pas mal de personnes bossant dans la nuit étaient passées à la soirée ; s’en est donc suivi une date dans un bar et la machine était lancée. Merci Rebecca <3

« Faire la fête c’est être derrière mes platines, en vrai, c’est là que je m’éclate le plus »

Tu fais partie de ces artistes qui jouent tout autant pour des soirées filles (féministes, lesbiennes) que pour des soirées plus “normées”, c’est important pour toi, ces deux facettes ?

Non. Je ne qualifierai pas cela d’important pour moi car je ne mets aucune politique ni aucun mouvement dans ma musique, c’est ma passion, mon métier, ma béquille et mon psy en même temps, c’est ce qui paie mon loyer. C’est déjà bien assez de choses. Je ne me prends pas pour un porte parole de quoi que ce soit, ma vie et mes orientations me regardent, jouer pour une soirée gay ou une soirée hétéro, peu importe, je n’y pense même pas, mon unique but c’est de donner le sourire aux gens pendant 2 heures et de leur faire oublier leur semaine de merde.

Que t’apporte le milieu de la nuit queer que le reste ne t’apporte pas ?

Des meufs.

“Faire la fête”, ça veut dire quoi pour toi ?

Quand le milieu de la nuit devient ton milieu pro, même les jours où tu bosses pas, tu n’appréhendes plus les soirées de la même manière. Tu ne me verras plus jamais perchée sur un podium, il me faut un accès backstage, une place pour m’asseoir au calme, des toilettes où je fais pas la queue, un pote à moi en train de jouer, je deviens vieille sûrement aussi. Attendre un verre dix minutes au bar, aujourd’hui, c’est le genre de truc qui me gâcherait une soirée. Alors je dirais que pour moi, faire la fête c’est être derrière mes platines, en vrai, c’est là que je m’éclate le plus.

D’après toi, pourquoi des initiatives comme Barbi(e)turix doivent exister aujourd’hui ?

J’adore Barbi(e)turix, parce que c’est pas juste à propos d’être lesbienne ou d’être militante, à côté de çà, ce collectif présente de vrais line-up de qualité, la musique reste l’élément central, leurs soirées sont toujours un succès et après le Pulp c’est sûrement la soirée à Paris où tu vas pouvoir trouver ce taux si élevé de lesbiennes concentrées au mètre carré. Pourquoi les gens font la fête ? Pour pécho d’autres gens et puis parce qu’on ne peut pas faire que bosser dans la vie, faut bien s’amuser, oublier les problèmes le temps d’une soirée.

Tu as l’impression que les gens ont changé de façon de sortir depuis quelques années ?

C’est difficile à dire parce que j’ai pas arrêté de déménager (Lille / Marseille / Australie / Londres / Paris) donc déjà à chaque ville ou pays sa manière de sortir. À Londres tu peux rentrer chez toi à 2 h du matin et avoir passé une folle soirée a te déhancher sur le dancefloor, quand à côté de çà au même moment à Marseille avant 2 h du matin tu as 3 personnes dans les clubs. Les gens restent dans les bars jusqu’à la fermeture pour ensuite se pointer devant la porte du club tous en même temps. Paris c’est un mélange des deux je dirais. Ce qui a sûrement changé c’est l’âge auquel on commence à sortir et à côtoyer tous les vices qui vont avec. Clairement les gens commencent de plus en plus tôt.

C’est quoi ton militantisme à toi dans la fête ?

Que dans tous les clubs du monde on te laisse entrer en basket casquette.

C’est quoi le truc qui a changé entre toi à tes débuts, et toi aujourd’hui ?

Je me suis rasé la tête et j’ai 200 fois plus confiance en moi. On me reconnait pour ma musique, j’ai les contacts directs de personnes que j’écoutais depuis des années et qui m’ont inspirée, mon nom et mes morceaux existent aux yeux de ces gens là, et ça c’est complètement fou.

« Après le fast-food et la fast-fashion, on est rentrés dans la fast-music »

Il existe un ou des inconvénients dans le fait de faire partie du “monde de la nuit” / “l’industrie musicale” ?

L’envers du décor bien sûr, il y en a, comme partout. C’est pas strass et paillettes quand la lumière s’éteint et que tu rentres solo chez toi ; je pense que la redescente est plus brutale que quand tu sors du bureau. C’est un coup à prendre, ce calme après la tempête, et puis les horaires aussi c’est pas toujours évident, t’as le sommeil décalé en permanence mais je n’échangerai ça pour rien au monde, je suis bien consciente d’être privilégiée de pouvoir avoir, rien que cette liberté, de ne pas mettre de réveil a 7h tous les matins, de pas me frapper la déprime du dimanche soir parce que le week end est fini. Ma vie est un week-end.

T’en penses quoi de l’industrie musicale actuelle, d’ailleurs ?

J’en pense tellement de choses que je pourrais t’en parler pendant des heures. Je regrette beaucoup les années 80 et 90 pour ce qui est des styles musicaux. Je vais avoir du mal à te citer des artistes (hors musique électronique) actuels dont j’aime profondément le travail, on les compte sur les doigts d’une main ; Fishbach en fait d’ailleurs partie, donc ravie de partager l’affiche avec elle au Balajo ce dimanche. Pour parler d’industrie pure et dure, je dirais qu’il est beaucoup moins évident de se faire de l’argent en vendant des disques comme à l’époque pre-internet, et je pense que le fait d’avoir accès à des bases de données infinies de musique en streaming reforme complètement l’éducation musicale des nouvelles générations. En fait y’a plus d’éducation musicale, d’influence de tes grands frères et soeurs ou de tes parents, les jeunes s’en foutent des disques poussiéreux de leurs parents, maintenant y’a Spotify, ils se braquent leurs écouteurs sur les oreilles et vont écouter en boucle ce qu’on leur bombarde à la radio ou sur des playlists établies selon la loi de celui qui aura mis le plus de fric dans sa com ; pourquoi faire l’effort d’aller écouter les vieux trucs de tes parents quand on te dit que « ça c’est cool », quand on te martèle de publicités tous les jours à un tel point que tu finis par y croire. Et les classiques passent a la trappe. Faudrait faire entrer le livre 99F dans les programmes scolaire. Après le fast-food et la fast-fashion on est rentrés dans la fast-music ; à l’époque du cd tu réfléchissais à deux fois avant d’acheter un album et tu le faisais tourner jusqu’à le rayer, on écoutait moins de musique mais on l’écoutait mieux. Maintenant tu zappes, tu avances, tu supprimes carrément un morceau en un clic et je me demande, d’ici 20 ans, quel gamin sera encore capable de nous parler des Beatles ou même des héros musicaux de son enfance ; c’est bien triste. L’héritage musical, la transmission de génération en génération, y’a un putain de fossé qui est en train de se créer.

Tu les vois sortir comment du coup les jeunes dans 20 ans ?

En voitures volantes

Tu le vois comment ton propre futur dans la nuit ?

Dans 20 ans j’aurai 52 ans, j’espère avoir un enfant d’ici là pour lui parler de John Lennon (sourire). Je serai sûrement plus dans la nuit, mais je serai toujours dans la musique. Je prépare d’ailleurs un album plutôt pop électro en ce moment, pas destiné aux clubs, plutôt pour des prestations live. C’est un nouveau chapitre qui s’écrit…

Adeline Journet

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