Quoi de mieux, pour faire briller sa Nuit Blanche, que de la passer dans un des spots éphémères les plus cools de Paris ? Samedi 7 octobre, le gigantesque lieu de création et pérégrination L’Aérosol, accueillait le label Boukan Records. A sa tête, et à celle de la soirée, l’emblématique Bamao Yendé. Il a fait chaud. Les foules se sont croisées, rapprochées. Une belle 16e édition de Nuit Blanche sous le signe des arts de rue. Reportage.

21 h 45 – Une foule dense patiente sous la pluie devant les grilles de l’Aérosol. J’entends parler du spot depuis son ouverture fin août. Ce hangar de 1200 m2 se situe en plein cœur de la friche ferroviaire Hébert, rue de l’Evangile, dans le XVIIIe à Paris. L’endroit n’est pas encore plein, des gamins font de la trottinette tandis qu’une dame bien mise aux cheveux argentés déambule dans entre les groupes accroupis qui taguent leurs blases sur le sol.

“L’Aérosol, ça me fait penser à la Tour 13. D’un côté, c’est magnifique, et de l’autre tu sais que dans 6 mois c’est plus rien.”

A l’extérieur, à côté des urinoirs en plastique, Laura, 30 ans, attend son copain Martial, 36 ans. Je les aborde, simple curiosité. Ils habitent pas loin, à Noisy-le-Sec et voulaient visiter l’Aérosol depuis quelques semaines. “On est passés plusieurs fois devant, et on avait lu quelques articles sur le lieu, on était curieux”, explique Laura. Ils se sont d’abord trompés d’entrée et sont allés dans la halle Hébert, à deux pas de l’Aérosol. Ce soir ce sont les ballets de machines de La Horde qui font briller les yeux des passants, dans le “In” de la Nuit blanche. “Que ce soit ici, dans le 93, dans ces lieux qui vont être détruits, il y a une énergie”, ajoute Martial en récupérant sa bière. “D’ailleurs, c’est parce que ces lieux sont éphémères qu’il y a cette énergie ; ça me fait penser à la Tour 13. D’un côté, c’est magnifique, et de l’autre tu sais que dans 6 mois c’est plus rien.” Dans l’embrasure de ce qui devait être une porte, sous une boule disco, le passage d’un RER au loin parfait le tableau de cette fête comme importée tout droit de Kreuzberg.

“Est-ce qu’un jour on pourra parler d’une scène électronique du 95 ?”

En face du bar, de l’autre côté de la piste de danse, un portrait de Martin Luther King en noir et blanc légendé d’un “one and only” lève le doigt d’un air rempli de sagesse. Il faut lever la tête pour apercevoir le DJ derrière sa console, tout en haut d’un escalier en colimaçon. Derrière lui, une loge. Bamao Yendé distribue les accolades et envoie des signes de la main. Un jean bariolé d’imprimés , une veste mi-cuir, mi-fourrure, il porte un casque sur les oreilles. A 23 ans, le jeune producteur originaire de Cergy est à la tête du label Boukan Records. La musique promue ce soir est difficilement classable. Son prénom, c’est William. Et on l’aime pour sa façon de savoir mélanger UK garage, house, percussions africaines, trap et r’n’b. Il va jouer “au feeling” cette nuit, de 2 h à 3 h 30. On aime un dj qui joue “au feeling”. Est-ce qu’un jour on pourra parler d’une scène électronique du 95 ? “Je ne sais pas si on est précurseurs, mais en tout cas, on charbonne”, lance-t-il alors que son manager demande de dégager le haut de l’escalier pour faire place aux percussions. Sur un sample de house, l’ambiance se réchauffe sensiblement. C’est parti.

Lara Mercier

Devant les food trucks, Maxime et Mélanie, la vingtaine, tracent à coups de peinture bleue EDF leurs prénoms sur les tables. “On est pas graffeurs, mais on bosse tous plus ou moins dans le dessin” explique Maxime. “Regarde, on a fait une fleur, un hamster, et ma meuf une vulve en 3D de type canard” poursuit-il en essayant de trouver le sens dans lequel observer ledit canard. Ils sont cinq copains à avoir fouillé leurs poches pour s’acheter quelques bombes au Maquisart, le magasin de sprays situé au fond de l’Aérosol. L’espace comprend aussi une galerie, le Hall of Fame, dont la richesse de la collection impressionne. Les oeuvres du célèbre Shepard Fairey, a.k.a Obey, côtoient les pochoirs de Banksy et les lettrages de Bando. Dingue.

Retour au hangar. Il est deux heures passées de quelques minutes, et Bamao Yendé amorce une transition réussie entre garage et jungle. La foule chaloupe sur des bruits de hululements d’oiseaux. Cabrel, 25 ans, esquisse trois pas de danse et imite des battements d’ailes: “J’aime bien l’idée que ce soit pas confiné ici. Regarde la Concrete, le samedi soir tu peux pas faire un pas ; ça, c’est un luxe, tu vois”.

“A 3 h 30, le set s’achève sur l’afrotrap d’MHD, le prodige du 19 e adulé par les stars du PSG”

Les percussions afro caribéennes rappellent les carnavals tropicaux. “55 degrés et safari”, ce sont les mots utilisés par William pour décrire sa musique. L’air est moite. Dehors, la file d’attente se presse contre les barrières et s’étire jusqu’à la station Marx Dormoy. C’est Lisa qui m’apprend ça. Elle est brune et grande, sa coupe afro est parfaite, mais elle, elle est passée sous les grillages pour rentrer. Elle s’arrête de parler et hoche la tête en rythme en entendant les premières mesures d’un morceau des Destiny’s Child. A 3 h 30, le set s’achève sur l’afrotrap d’MHD, le prodige du 19 e adulé par les stars du PSG. Sur le chemin de la sortie, Adrien, 22 ans, petite chemise amidonnée, fait le bilan: “j’aime bien la musique, mais c’est pas le plus important. Je viens pour rencontrer des gens de milieux différents. Et ici ça brasse large, c’est cool. C’est vraiment chouette le concept de la Nuit Blanche, tout le monde sort, on découvre plein de nouveaux artistes… il faudrait que ça se produise plus souvent qu’une fois dans l’année.”