Si une fois la nuit tombée, on n’est plus du tout physio chez Heeboo, on reste persuadés que la physiognomonie très chère à Balzac a toujours ses raisons d’être. Physiogno-quoi? Google sait tout, demande lui. Sans aller jusqu’à tirer vos portraits sur le dancefloor, en vous regardant, petits oiseaux lumineux, on sait un peu qui vous êtes, à la façon dont vous vous habillez. Sans aller jusqu’à dire que l’habit fait le moine, on sait un peu d’où tu viens et à quel courant underground tu appartiens (ou tu essaies d’appartenir) en regardant les détails qui font ton look.

Dimanche après-midi, 15h, la Station-Gare des Mines se remplit petit à petit. Comme à son habitude et pour la dernière fois de l’année, le lieu devient le rendez-vous de tous les styles, à l’image de l’éclectisme musical de la prog’. Des personnalités hautes en couleurs se mélangent aux danseurs, certains tout droit sortis d’after. Dans ce paysage aux résonances techno, une chose me frappe autant que les basses des caissons : les crânes sont rasés, les garçons portent des mini franges et les filles des nattes collées (détail récupéré à la black culture de type Sean Paul façon Kardashian). Cette question me traverse alors l’esprit au moment où je commande ma première pinte : les soirées extra-muros sont-elles le nouveau “salon de la coiffure” ?

Une fois ma bière en main je me rapproche de la première scène. La musique est cool, et le mec à côté de moi arbore une mini-frange. Timing parfait, je me sors une clope et lui demande du feu. On discute un peu, il me dit qu’il s’appelle Franck et qu’il a pas dormi depuis hier, qu’il est venu avec des potes pour profiter du soleil. J’imagine très bien le tableau de ces nouveaux dandies de la nuit : des Beatles désillusionnés qui auraient coupé leurs franges pour être toujours bien disposés, cheveux au vent.

Revenons un peu à nos cheveux, la mini frange qu’est-ce-que c’est ? La frange c’est, selon le dictionnaire du coiffeur disponible aux Editions GB Vega : “cheveux tombant sur le front” et selon celle du Larousse.fr “ce qui est marginal”. Un mot à plusieurs sens, une identité forte, même dans sa définition.

Rappelle toi quand tu étais jeune et que ta mère te disait “coiffe toi, t’as les cheveux dans les yeux”.
La frange a été pour bon nombre d’entre nous un moyen d’appartenir à un style de personnalité “rock” ou pour les plus extrémistes d’entre nous, “emo”. En quelque sorte c’était la coiffure idéale pour camoufler ta sensibilité et exprimer ta rébellion contre les gens aux raies bien dessinés. On la connaît coté meufs, mais coté mecs, c’est surprenant.

“La frange a envahi le visage de nos tendres éphèbes pour leur donner un côté à la fois viril et fragile.”

Les garçons à franges ont entamé leurs conquêtes du monde le jour où ta mère a acheté son premier album de pop anglaise et où ton père s’est mis à écouter en secret du glam rock pendant son service militaire. Une influence d’Outre-Manche qui a traversé l’Europe pour exploser aux début des années 2000, de Paris à Berlin en passant par ce rital au mulet qui te vend des churros sur les plages d’Espagne. Nourris au biberon d’Oasis, fan des frères Gallagher, les baby rockeurs portant toujours fièrement leurs blazers à carreaux sont devenus aujourd’hui des danseurs transpirants, qui secouent désormais leurs mèches rétrécies au rythme des BPM.



Cette mini-frange est partout, des podiums (coucou Acne) à la rue, du club au ciné, elle a envahi le front de nos tendres éphèbes pour leur donner un côté à la fois viril et fragile. Plus qu’un effet de mode, elle a restructuré leur visage osseux et camouflé les traces que leur laisse la nuit sous les yeux. Sortis des cat-walks, ces mannequins des nuits défilent sous nos regards ébahis dans tous les clubs de Paris.

Tu l’auras compris, pour être stylé la nuit, demande une haircut low-coast chez ton paki.