INTERVIEW DU TEUFFEUR 6.0 – Le teuffeur 6.0, c’est le mec, la nana, la créature nocturne de demain, inspiré des folies d’hier, qui prend son envol dans les nuits et les matins d’aujourd’hui. C’est cet oiseau pour qui la fête est respiration, vitale, comme une bouffée d’air indispensable au bon déroulement des choses, comme un cachet qui rend aimable. On continue notre série de l’été avec le portrait d’Alan.

Alan, c’est le genre de mec qui intellectualise la nuit, à l’infini, et la ressent comme dans un livre ouvert. Ne se prend pas au sérieux pour autant, aime provoquer, et choper, pour combattre cette virtualité des sentiments et des relations qui a envahi les clubs. Alan, c’est le genre de mec qui se couche tranquillement un samedi soir vers minuit et règle son réveil pour partir en after un dimanche matin, après un bon petit-déjeuner. Alan, c’est le genre de mec qui ne s’arrête pas de danser.  Alan, c’est le mec safe, qui pragmatise la nuit, mais la rend tout aussi folle. On aime bien sa façon de voir la nuit. De voir Paris. Alors on a voulu lui tirer le portrait. Rencontre !

Rainer Torrado

Prénom : Alan

Ton âge : 26 ans

Dans la vie ?

Je suis ingénieur et je m’occupe plus spécifiquement de préparer les centres bus parisiens à accueillir des bus 100% électriques. En gros, je gère des travaux visant à alimenter et installer des bornes de recharge de bus électrique dans des dépôts de bus existant, pour pouvoir avoir un Paris plus respirable.

Et moins officiellement tu aimerais te présenter comment ?

Globalement si quelqu’un est arrivé à me lire jusqu’à la fin de l’interview je souhaite le féliciter !!! J’ai tendance à philosopher comme un lycéen fumeur de joint.  Je n’aime pas me prendre au sérieux, j’aime provoquer – choquer et surtout FAIRE. Je ne peux pas me contenter d’être juste spectateur, je suis investi dans plusieurs associations, je suis tout le temps à droite et à gauche pour faire des choses, si on arrêtait de se plaindre devant sa télé sur son canapé et qu’on commençait chacun à s’investir pour faire bouger les lignes, la planète se porterait beaucoup mieux.

Ta première soirée en club c’était quoi ?

L’Amnesia Cap d’Agde, en 2008, avec mes potes du lycée

Une anecdote ?

Je pense avoir passé mon bac avec mention spécial « fêtard ». Tous les derniers samedis avant les vacances un DJ mixait dans la cour, chaque année s’organisait le bal de promo dans une boîte et surtout on passait tout l’été dans LA BOITE du cap d’Agde – à savoir l’Amnesia. Nos parents nous y emmenaient et venaient nous chercher à 3-4h du matin. C’était la belle vie.
Même à cette époque, être simple spectateur ne me suffisait pas, dès que j’ai pu travailler j’ai commencé à distribuer des flyers de boîte sur la plage. Avec mon sac plein de flyers, en quelques heures j’engloutissais les 14 kilomètres de plages pour aller à la rencontre des touristes et leur donner envie de sortir le soir.
Et la nuit, je travaillais au Mcdo (drive ouvert 24h/24h forcément) ou je servais les affamés sortie de boîte vers 6 h du matin et faisait rentrer mes potes dans le restaurant alors qu’il était fermé : « servez-vous en cuisine ».
Sinon j’ai voulu retourner à l’Amnesia cet été et je me suis fait refouler car on n’avait pas de filles avec nous – faut croire que les boîtes de province ne sont plus faites pour moi. (ps : je n’ai aucun problème avec la province)

“La nuit est le dernier espace de liberté permettant aux individus de se rencontrer”

Ta plus belle et mémorable anecdote de soirée c’est quoi ?

La nuit où j’ai rencontré mon copain. Initialement on allait au Tango – sauf qu’on s’est fait refouler car un pote était un peu trop ‘excité’. Du coup direction une autre boîte pour une soirée qui s’appelait à l’époque « Scream Club ». A l’entrée c’était l’inverse d’une boîte de province – les garçons devant et les filles cachées derrière pour pouvoir rentrer. Et là je rencontre mon mec dans cette soirée – depuis, notre chanson c’est « We Found Love » de Rihanna.

La fête, ça tient quelle place dans ta vie ?

A mon sens, la nuit est le dernier espace de liberté permettant aux individus de se rencontrer – autrement qu’à travers un smartphone. La journée, les citoyens se croisent mais ne se rencontrent plus dans l’espace public. C’est pourquoi je tiens à cœur la défense de cet espace de liberté, où les gens peuvent vivre désinhibés, dans le respect de chacun.  Je sors en club depuis le lycée, et tous les week ends depuis que j’ai immigré à Paris.  Depuis six mois, je participe à un comité créé par la mairie et qui rassemble des « usagers » de la nuit parisienne, ce comité est intégré au Conseil parisien de la Nuit qui a pour but de faire travailler tous les acteurs de la nuit parisienne pour la favoriser et l’améliorer. J’en suis donc à la fois acteur et spectateur, et c’est tous les jours que la fête prend une place dans ma vie.

Tu as l’impression qu’on fait de plus en plus la fête à Paris, ou le contraire ?

J’ai pu récemment m’entretenir avec un journaliste du magazine Soixante-Quinze qui faisait un reportage sur ce que tout le monde appelle « le renouveau de la nuit parisienne ». Ce qui est intéressant c’est que certains interviewés avaient une nostalgie persistante de l’époque dite mythique des Bains Douches, de Castelet du Palace, avec cette impression d’un Âge d’or de la fête parisienne inégalé à ce jour.

Mais comme le dit très bien Patrice Bardot dans ce reportage « A cette époque, la nuit était marginale, réservée à une élite. Maintenant elle est populaire et démocratisée ». La particularité du « renouveau Parisien » c’est que (pratiquement) tout le monde peut facilement sortir dans un club sur Paris, sans forcément se confronter à des codes arbitraires. La conclusion de l’article est que finalement « l’Âge d’Or » de la nuit parisienne serait maintenant.

“Une bonne soirée est une soirée où le public devient acteur”

Forcément, cela apporte des inconvénients, pour moi le plus dangereux est celui de la normalisation, à force de vouloir rentabiliser au maximum les lieux, on applique la même formule avec les mêmes artistes mondialisés, on ne prend plus de risques, et sans risque(s) il n’y a plus de renouvellement, et du coup on se retrouve à sortir à Paris comme on sortirait à Ibiza ou à Miami. 

L’autre inconvénient est que cela a provoqué la naissance d’un public plus consommateur, un public qui ne respecte pas toujours la culture de la fête, et ne vient pas toujours pour la musique ou pour une atmosphère. Une bonne soirée est une soirée où le public devient acteur, se désinhibe complètement et cela se ressent dans l’atmosphère de la soirée.

Et ça vient d’où, d’après toi ?

Quand j’ai découvert la musique techno, je me suis demandé pourquoi elle rencontrait un si grand succès aujourd’hui. D’autant que nous vivons dans une société très frénétique et bruyante, pourquoi de la musique encore plus bruyante et frénétique ? Peut-être parce que justement cette musique est tellement forte, qu’elle surpasse le bruit de la société et qu’elle nous permet de nous enfermer dans une bulle qui nous permet de nous reposer et nous faire oublier la frénésie de la ville.

Alors certes, la musique techno est dominante sur paris, mais elle n’est pas la seule à connaitre « un renouveau » donc mon explication ne fonctionne pas. L’homme a besoin de lieux de communion, de se retrouver tous ensemble pour oublier le quotidien, relâcher la pression et se défouler ensemble. Chez les romains ces lieux c’était les arènes, au Moyen-Âge les églises, nous avons eu ensuite les stades de football. Peut-être qu’aujourd’hui le club est devenu le lieu de communion du parisien.

Toi, c’est quoi qui te pousse à sortir le soir ?

J’aime rencontrer de nouvelles personnes. Que cela soit pour une rencontre physique ou mentale. Et le meilleur endroit pour rencontrer de nouvelles personnes, c’est bien en fête. Chaque club/festival/bar a son propre type de clientèle, j’essaye toujours de ne pas m’enfermer dans une communauté et lorsque cela arrive, je fais tout pour découvrir de nouveaux espaces et sortir de cet enfermement.

On pense quoi des after ?

Ma soirée préférée c’est l’after.

Cependant je ne vais pas en after après une soirée, je dors la veille, prends un bon petit déjeuner et pars en after. A chaque fois, je me demande comment je vais faire pour rentrer dans la soirée, moi qui suis en pleine forme, au milieu de personnes qui sont debout depuis 24 h si ce n’est plus. Et à chaque fois, la magie opère et bizarrement les afters comme ça, ce sont mes meilleurs soirées car j’ai énormément d’énergie que je peux libérer sur la piste de danse sans être déphasé. Sinon pourquoi la plupart des fêtards vont en after ? Tout simplement pour prolonger le plaisir. C’est tellement bon, on voudrait que ça ne s’arrête jamais. Tant qu’on tient debout, on veut danser encore et encore sur la piste jusqu’à ce que la fatigue nous arrête.

Ton record de fête, c’était quoi ?

Quitte à paraître ennuyeux, je suis quelqu’un de très modéré, j’aime rentrer chez moi au bout de 5-6h à danser. Je trouve que s’allonger dans son lit après avoir dansé plusieurs heures de suite est le meilleur sentiment au monde, un sentiment de réconfort absolu. C’est un peu la nécessité de retrouver mon lit qui me freine aujourd’hui d’aller dans des gros festivals comme Dour ou Awakenings.

“J’ai la hantise de faire la queue pour rentrer en boîte”

Ton plus grand fail de soirée ?

Féria de Nîmes – très fortement alcoolisé, j’ai voulu prendre sur mes épaules une pote d’une pote sauf que forcément j’ai basculé en arrière, elle aussi et s’est ouvert le crane. Rien de grave mais ç’en était fini de la soirée pour elle. Le pire dans l’histoire c’est qu’apparemment cette fille n’était pas vraiment appréciée et on m’a remercié pour cette action.

Ton QG pour le before ?

Chez moi ou chez toi ?

Ton heure d’arrivée moyenne en boîte ?

J’ai la hantise de faire la queue pour rentrer en boîte, je m’arrange donc toujours pour rentrer avant 1 h avant l’arrivée de la foule. 

Ta boisson porte-bonheur ?

Le danger à Paris c’est, qu’étant donné qu’on n’a plus besoin de conduire pour rentrer chez soi, tu peux très vite commencer à boire tous les jours – surtout si comme moi tu sors tous les jours. C’est pourquoi j’essaye (difficilement) de réduire ma consommation d’alcool et j’essaye de privilégier des lieux qui ont une vraie carte de boissons sans alcool. Malheureusement la plupart des bars ont une carte très triste de boissons sans alcool alors qu’il y a une réelle demande. Le seul grand bar qui tient la route c’est le Ground Control mais il est malheureusement victime de son succès.

Ton remède à la gdb du lendemain ?

Je mange un bon gros Kebab bien gras avec pleins de frites devant une vidéo de Miranda Kerr, et je suis prêt pour la prochaine soirée. 

Drogue dure ou drogue douce ?

J’en profite de cette belle question pour partager des supers autocollants que j’ai récupéré auprès de « plus belle la nuit », un collectif de prévention de réduction des risques à Marseille. Sinon à Paris on a un super dispositif qui s’appelle Fêtez Clair, n’hésitez pas à aller les voir lorsqu’ils tiennent un stand dans la soirée où vous êtes !

Ton track de la teuf ?

Tu choisis comment tes soirées ?

J’ai certains amis que je qualifie « d’éclaireurs ». Ils sont toujours au courant des bonnes soirées et je les accompagne de temps en temps pour découvrir de nouveaux spots. J’ai aussi quelques lieux que je fréquente de manières régulières, je ne rate aucune Péripate ni aucune BP. Je jette un œil de temps en temps à un outil formidable qui a récemment été développé sur Facebook et qui s’appelle Goosebump (anciennement la bringue). Il y a plusieurs start-up qui se sont lancés dans ce créneau et qui proposent vraiment des solutions intéressantes, permettant de palier une grosse particularité de la fête Parisienne aujourd’hui – c’est qu’aujourd’hui on ne raisonne plus en termes de lieux mais en terme d’événements – d’où la difficulté de trouver les événements pour les fêtards et le créneau qu’il y a à prendre.

L’artiste qui te fait adhérer au line-up ?

Je ne vais pas en soirée électro pour voir un artiste en particulier mais pour l’ambiance de la soirée, du club, c’est difficile pour moi de sortir spontanément un nom d’artiste. Je trouve qu’on appelle parfois un peu trop grossièrement certains établissements « clubs » alors qu’au final ce n’est qu’une salle de concert avec un DJ à la place d’un guitariste ou chanteur, la preuve en est que les gens restent plantées devant le DJ comme dans une salle de concert. Ce sera plus facile pour moi de sortir un nom de collectif ou de soirée dont je sais que leur line-up sera toujours à la hauteur (Péripate, BP, Bal Con, Otto10, …).

Ta plus belle nuit en club ?

En tant qu’adorateur de la fête Parisienne (vous l’aurez compris), ça me fait mal de dire ça mais ma plus belle nuit en club était au Griessmuehle à Berlin pour une Cocktail D’Amore en début de printemps. C’était complètement délirant de voir des gens dans l’espace extérieur de la boîte autour d’un feu allumé pour se réchauffer, pendant que la fête battait son plein à l’intérieur du club. La différence de température entre l’intérieur et l’extérieur devait être d’au moins 20°, ce qui n’empêchait pas les fêtards d’être autant désinhibés à l’intérieur qu’à l’extérieur.

Le meilleur club actuel pour toi ?

Le Peripate au Freegan Pony– même dans sa formule temporaire au Génie d’Alex (ancien Showcase), cette soirée est une des rare soirées qui permet aux gens de se désinhiber complétement pour qu’ils puissent devenir acteurs de la soirée et non plus simple consommateurs. Puis la Station-Gare des Mines et l’Esplanade, tous les deux situés à Porte d’Aubervilliers qui sont deux établissements que je fréquente assidûment.

“L’avenir de la fête n’est plus à Paris”

Tu chopes ou tu te laisses choper ?

Je suis absolument un chopeur, on m’a même un jour surnommé le « prédateur ».  Un pote a très bien théorisé la drague à paris, en catégorisant deux types de mecs : Il y a les chats et les chiens. Voici sa théorie du chat résumée en rime : « Les chats ne te font des câlins que lorsqu’ils ont faim et puis au matin tu ne leur es plus rien ; froid et mesquin, l’amour d’un chat il est malsain. Alors sois malin et opte donc pour un chien ! Chaleureux et abondant, c’est comme un mec bien». Je suis toujours ouvert pour expliquer cette théorie autour d’une bière.

Tu seras quel type de teuffeur dans dix ans ?

Très clairement l’avenir de la fête n’est plus à Paris. Sauf si la tendance s’inverse, les lieux parisiens sont actuellement en train de se concentrer dans les mains de quelques investisseurs dont la priorité est la rentabilité maximale de leur établissement. Les collectifs locaux qui font la culture de la fête parisienne n’ont pas leur place dans ces établissements qui sont normalisés, aseptisés, mondialisés (pour reprendre les mots de l’article du magazine 75). Dans dix ans, je serai donc dans une soirée d’un collectif parisien dans le Grand Paris (facilement accessible grâce au réseau Grand Paris Express !).

Si tu as des gosses, tu les vois sortir comment dans 20 ans ?

J’aimerais plutôt répondre à la question « Comment je ne voudrais pas les voir sortir dans 20 ans ?». J’espère que dans 20 ans, nous ne serons pas arrivés à un stade où « sortir » se résumera à mettre un casque de réalité virtuel pour se connecter à une sorte de Facebook en mode « second life ». Je suis déjà suffisamment inquiet du décalage avec notre nouvelle génération qui devient de moins en moins capable de rencontrer des gens autrement que par smartphones interposés. C’est peut-être pour cette raison que je préfère « choper » – pour tenter d’endiguer ce phénomène.

Un samedi comme un autre, 3 h du mat’, on te trouve où ?

Au lit pour me lever en pleine forme et aller en after. Typiquement le week-end parfait fut le week-end du 26/27 août – BP à la Station-Gare des mines de 18 h à minuit le samedi, dodo puis Péripate du dimanche matin au soir.