Les Nuits Sauvages

Paul Seul : « Tout ce qu’on fait – qu’on le veuille ou non – est politique » – Heeboo

Paul Seul : « Tout ce qu’on fait – qu’on le veuille ou non – est politique »

Interview Nuit - Février 6, 2018

Esteban Gonzalez

Paul Seul est désormais seul. Enfin pas tant. Mais Seul en solo. Sans sa clique de Casual Gabberz, pour un EP « soufflet dans ta face ». Le grand saut, il a attendu longtemps pour le faire. Plus d’une fois, il a cru rater sa carrière. Ne pas pouvoir se lancer seul, c’est ce qui arrive à pas mal d’artistes. Et ça, c’est l’enfer. Mais finalement il a sauté, le point en l’air. Il a sauté, comme un grand et il l’a fait, bien. Dans sa Lycamobile, il a débarqué super dégaine, l’EP est là, et il est chaud comme un bon spot de sécurité routière qui t’attrape l’estomac.

Entretenir Surveiller Sécuriser, sort vendredi 9 février. Deux tracks qu’on attendait pas. Entre techno, rave et gabber, Respectez Leur Vie et Gardez Vos Distances présentent une nouvelle et belle facette de ce gamin du 19e qui avait découvert la prod avec le rap. Paul Seul, c’est de la précision, beaucoup d’humilité, de la simplicité et une belle release party à venir samedi 10 février au Trabendo (date hors les murs du Petit Bain dans le cadre du festival How To Love) avec toute sa clique de Casual Gabberz et des invités de choix. On y sera, et toi aussi.

Esteban Gonzalez

C’est quoi la première chose que tu dis de toi quand il faut te présenter à quelqu’un ?

Paul : Je crois que la version et l’ordre changent un peu des fois mais si c’est un lecteur de Heeboo je dirais un truc comme : « Salut ! je m’appelle Paul. Je fais du son et je mixe depuis une dizaine d’années et depuis cinq ans ce qui m’occupe pas mal c’est l’activité de mon collectif Casual Gabberz. »

Tu viens d’où ? Comment on faisait la fête par chez toi ?

Je suis né dans le 13e et j’ai grandi dans le 19e à Paris. Il y avait sans doute beaucoup de trucs que j’aurais pu voir et que je continue de découvrir aujourd’hui rétrospectivement mais au niveau “nightlife” je suis venu à la fête relativement tard. Pour les anciens j’ai été quelques fois à la Scala quand j’avais 17, 18 ans mais c’était pas top…

Ta première vraie fête, tu t’en souviens ?

2010 ou 2011 à TrouwAmsterdam. Je faisais déjà du son mais j’y connaissais pas grand chose en techno. J’habitais à Amsterdam et j’avais capté pendant l’ADE (Amsterdam Dance Event) des amis que j’avais rencontrés très récemment (ou juste online pour certains) et avec qui on parlait surtout de rap. Il s’est avéré que c’était Gwendal (wesh tonton 45fm Liège), Ed Isar (Voodoo Rave / 33rpm +8) et Hugo (Spazzio Tempo) et qu’ils m’ont traîné là-bas. C’était Clone vs Delsin vs Rush Hour. Je me suis pris une grosse claque et ça a débloqué mon verrou techno.

« Ce qui m’a amené au mix et à la prod c’est le rap »

C’est quoi LE truc qui a rendu cette fête inoubliable ?

La qualité du lieu, l’expérience GROS club (la taille du fumoir…), les gens avec qui j’étais, le plateau de ouf…

A l’époque, c’était quoi les raisons qui te faisaient faire la fête ?

Lucien Krampf

Le son. Et aussi mon coloc anglais Sean. On allait aux soirées Boycott de Guerilla Speakerz à Amsterdam où ça jouait tout ce qui était bass music uk, grime, dubstep…

Tes premières vibrations elles viennent d’où ?

Quand j’étais petit j’aimais bien la dance mais ce qui m’a amené au mix et à la prod c’est le rap. Au collège j’ai commencé à vraiment m’intéresser au truc, à me renseigner, à tout décortiquer et ensuite au lycée j’ai installé Reason (logiciel de composition musicale, ndlr) et chopé mes premières platines.

Ton premier dj-set, tu t’en souviens bien ?

C’était à la soirée de clôture du festival de graffiti Kosmopolite à Bagnolet genre en 2003 – 2004. Je faisait le warmup mais y’avait déjà du monde. Dj Asco de Générations qui jouait après moi se tenait juste derrière. J’ai bien foiré chacun de mes enchaînements les uns après les autres. J’étais deg, je suis rentré chez moi à pied.

« J’ai la sensation d’avoir attendu suffisamment longtemps pour être sûr de ce que je présente »

Casual Gabberz ça représente quoi pour toi ?

Beaucoup. A mon retour en France en 2013 j’avais cette certitude que le son et la culture gabber au sens large était méconnue et très sous-estimée en France alors que si influente et en résonance totale avec notre époque. J’ai toujours cru au projet mais ça a été un long chemin. Le crew à muté, évolué, y’a eu pleins de phases…. doutes, joies, galères, soirées ratées etc… Casual Gabberz c’est surtout la rencontre avec Aprile, mon partner in crime, et les autres du crew. On avait pas forcement les mêmes aspirations mais ensemble on a donné vie à un truc qui a dépassé tous mes fantasmes neo-gabber. Je suis super fier du chemin parcouru et reconnaissant à vie à mon squad <3

Tu sors ton premier EP solo ; voler de ses propres ailes, ça représente quoi pour toi ?

Ca fait un peu bizarre d’être au 1er plan alors que d’habitude je m’occupe des autres… Il est plus naturel pour moi d’être dans l’ombre que de vraiment me mettre en avant mais j’ai la sensation d’avoir attendu suffisamment longtemps pour être sûr de ce que je présente. Je suis fier de cette 1ère release et excité pour la sortie.

Y’a un truc qui a changé entre toi à tes débuts et toi aujourd’hui ?

Je joue de la tekno alors que c’est de la musique de drogués ?

Tu te sens comment, juste avant de monter sur scène quand t’es pas entouré de ta clique ?

Je me mets toujours plus de pression qu’il ne faudrait pour les sets que ce soit avec Casual Gabberz ou en solo. J’aime bien être seul le petit quart d’heure avant de prendre les platines.

Et après ?

Je m’en rappelle pas

C’est quoi le truc qui te rend le plus heureux quand tu joues ?

C’est cliché mais les smiles – les réactions des gens – l’impression d’être entré en communion… C’est super grisant.

Il existe un ou des inconvénients dans le fait de faire partie du “monde de la nuit” / “l’industrie musicale” ?

On peut mettre tout et n’importe quoi derrière ces étiquettes – perso je vis toujours le truc avec beaucoup d’enthousiasme – je me dis que j’ai de la chance d’en être là et j’essaie de prendre ce qu’il y’a de bon dans tout ça.

« Chez CG on attend pas grand chose à part le bonheur de partager notre musique (ouais on est des gros hippies) »

T’en penses quoi de l’industrie musicale actuelle, d’ailleurs ?

J’en penses pas grand chose. Y’a des trucs moches et des choses formidables qui s’y passent. J’essaie surtout de faire ce qui a du sens à mon niveau. Tout ce qu’on fait – qu’on le veuille ou non – est politique. Alors on se pose forcément des questions “est-ce que ça nous ressemble ?” “est-ce que ça fait sens ?” mais une fois qu’on s’embarque dans quelque chose, on y va à fond. On est pas du genre à cracher dans la soupe.

Dans quel état d’esprit on est quand on y sort un premier EP en 2018 ?

A titre perso j’ai déjà l’impression d’avoir raté une dizaine de fois ma “carrière” donc j’ai aucune pression par rapport à cette sortie. La manière dont on développe nos projets chez Casual Gabberz Records est un peu en marge de tout ça. Nos considérations financières c’est juste d’arriver à l’équilibre. Nos releases sont en free download et on attend pas grand chose à part le bonheur de partager notre musique (ouais on est des gros hippies).

Faire la fête, ça veut dire quoi pour toi ?

Je vois la fête comme un exutoire absolu. Tout abandonner pour un instant hors-temps. En vrai je pense que les raisons profondes qui vont avec la frénésie de fête ne sont pas toujours très fun mais je me reconnais aussi là-dedans.

Pourquoi les gens font la fête en 2018 ?

Parce que ce monde est triste ?

T’as l’impression que les gens ont changé de façon de sortir depuis quelques années ?

A Paris, au niveau “clubbing”, j’ai l’impression qu’on est passé d’un truc d’initiés à une culture de masse. Pour le meilleur et pour le pire. En tout cas le fait est qu’il y’a plus de terrains d’expression qu’il y’a quatre ou cinq ans.

On pourrait être portés à penser qu’avant les gens faisaient la fête de façon politique, pour briser les codes, se libérer de certains carcans, et qu’aujourd’hui la fête ne peut plus être politique, tu en penses quoi ?

Je pense qu’on ne peut pas regarder “la fête” comme un truc monobloc surtout aujourd’hui où c’est devenu un gros secteur d’activité avec plein d’expressions différentes. J’en reviens à ce que je disais tout à l’heure, pour moi ce qui compte c’est la manière dont tu fais les choses à ton niveau, les petites actions que tu maîtrises… Je préfère un orga qui respecte vraiment son public et des artistes sans prétention plutôt qu’une soirée soit-disant politique pour le “respect” ou “contre l’esclavage”…

C’est quoi ton militantisme à toi dans la fête ou la musique ?

Mon militantisme par rapport au Gabber par exemple c’est de veiller à donner du crédit au courant originel, de faire le pont entre ce qui se faisait il y’a 20 ans et ce qu’on fait aujourd’hui, d’être respectueux par rapport à une scène qui n’avait pas vraiment besoin de nous. C’est d’ailleurs pour ça qu’on a toujours mis un point d’honneur à inviter des anciens comme Tellurian et Predator (Bio-Forge) qui seront avec nous le 10 février au Petit Bain.

Tu les vois sortir comment les jeunes dans 20 ans ?

Peut-être qu’on aura plus besoin de sortir parce qu’on aura tous upload nos cerveaux dans le cloud…

On te verra toujours sur scène d’après toi ou t’auras raccroché ?

Je suis plus lié à la musique qu’à “la nuit” mais a priori je compte pas raccrocher donc y’a moyen qu’on voit encore ma ganache traîner en club un moment.

Crédit photo cover : Esteban Gonzalez

Adeline Journet

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